Edition du Jeudi 30 Juin 2011
Chronique
L’image et la réalité
Par : Mustapha Hammouche
Là où il est question de “trafic d’êtres humains” et de servitude de personnes, le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme (CNCPPDH) ne voit que la nuisance du rapport à “l’image de l’Algérie” et supplie la présidence de la République et le ministère des Affaires étrangères de répondre au Département d’état américain.
Mais répondre quoi, maître ? Les “villages africains” et leurs caïds ne sont tout de même pas une invention du rapport en question ! “L’image” se soigne par des actes, pas par des démentis. Et les “graves accusations” qui ont mis maître Ksentini en émoi se fondent sur des faits explicitement énoncés. Ainsi, est-il consigné, qu’“aucun effort perceptible pour mettre en application sa loi d’antitrafic de 2009” n’aura été constaté en 2010, que “vingt-trois enfants algériens ont été victimes de trafic d’êtres humains en Norvège”, que ce sont les victimes, comme les prostituées et les migrants, qui sont arrêtées et emprisonnées.
C’est peut-être à la CNCPPDH de répondre, puisque l’Algérie peut s’offrir “l’image” d’un pays où les droits de l’Homme se résument à une “administration” des droits de l’Homme qui s’emploie à démentir les atteintes aux droits de l’Homme. Trop occupée à prendre en charge les “droits” des terroristes graciés, a-t-elle au moins le temps de s’enquérir de l’état des droits des catégories “désarmées” ?
Par malchance, c’est au moment où ses confrères se mobilisent contre la menace législative qui pèse sur l’ultime des droits de l’Homme, le droit à la défense, que le président de la CNCPPDH est appelé à la défense de “l’image du pays”, formule pirate pour désigner l’image du régime.
En tout état de cause, nous n’en sommes pas au premier rapport qui épingle notre pays : le climat des affaires, la corruption, la liberté syndicale, la liberté de la presse, le classement des universités, le traitement des femmes, la salubrité des villes et les… droits de l’Homme, pour une citation de mémoire. Il n’est pas un domaine où l’Algérie ne trône à un peu enviable rang ; et ce n’est pas toujours les produits d’officines et des puissances malintentionnées. L’état du monde du travail, des droits de l’Homme, de la transparence et de la liberté de la presse est suivi par des ONG dont on peut difficilement contester le sérieux.
La réalité de femmes réduites à la prostitution n’est pas une simple “image”. Le cas de migrants africains contraints à la servitude dans les villas cossues et les chantiers des quartiers résidentiels n’est pas une simple “image” non plus. C’est une réalité aggravée par le fait qu’à l’occasion, la répression s’abat plus facilement sur la victime que sur le trafiquant qui l’exploite.
Notre régime cultive le souci des apparences et de l’image qu’il donne de lui vers l’extérieur. Cela donne une ratification tous azimuts des instruments internationaux sur les droits de l’Homme, de la femme, de l’enfant, contre le blanchiment d’argent et tous les trafics et une panoplie complète de textes législatifs et réglementaires dédiés à ces matières.
Pour l’image. Un régime qui se soucie trop de son image en vient justement à délaisser l’objet de son pouvoir : la réalité du pays. Et comme c’est l’action des pouvoir publics, et non un recueil de textes, qui fait l’image, elle finit toujours par lui être retournée.
M. H.
musthammouche@yahoo.fr
30 juin 2011
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