Au coin de la cheminée
Agafia (2e partie)
Résumé de la 1re partie :La réaction de Anselme est fort étrange à chaque fois que l’on prononce le mot Agafia…
Nous
ne pûmes nous empêcher de sourire de l’humeur guerrière du pacifique
Anselme ; mais il ne s’en aperçut pas, grâce à l’obscurité, et après
avoir de nouveau gardé le silence durant un moment, il reprit : Vous
m’avez souvent dit qu’une influence secrète, qui règne en moi, me fait
voir sans cesse des choses fabuleuses auxquelles personne ne veut
ajouter foi, et qui semblent produites par mon imagination, bien
qu’elles se représentent extérieurement à mes yeux comme un symbole du
merveilleux qui s’offre à nous, sous toutes ses formes, dans la vie.
Telle est la nature de ce qui m’est arrivé, il y a deux ans, à Dresden,
pendant le siège.
Ma journée entière se passa dans un sombre silence,
gros de pressentiments : devant les portes, tout fut tranquille ; pas
un coup ne fut tiré. Tard dans la soirée, vers dix heures environ, je me
glissai dans un café, sur le vieux marché, où, dans une petite chambre
retirée, quelques amis, unis par l’espoir et l’amour de la patrie, se
rassemblaient, cachés aux yeux de nos dominateurs. C’est là qu’on
foulait aux pieds les bulletins mensongers ; c’est là qu’on se parlait
avec véracité, et qu’on se réjouissait des batailles de la Katzbach,
d’Ulm et de celle de Leipzig, qui prépara notre délivrance. En passant
devant le palais de Bruhl, où demeurait le maréchal Gouvion Saint-Cyr,
j’avais été frappé de la vive clarté répandue dans les salons, ainsi que
du mouvement qui avait lieu dans le vestibule. Je fis part de cette
observation à mes amis, et nous commencions à nous livrer à mille
conjectures, lorsqu’un nouveau venu arriva hors d’haleine. – «On tient
un grand conseil de guerre chez le maréchal, nous dit-il.
Le général
Mouton va tenter un passage avec douze mille hommes et vingt-quatre
pièces de canon. La sortie aura lieu demain, au point du jour.» – On
discuta longtemps et l’on convint que cette attaque pouvait devenir
fatale aux Français, vu la vigilance des assiégeants, et qu’elle
amènerait peut-être la fin de nos angoisses. Nous nous séparâmes. –
Comment, me dis-je, en gagnant vers minuit ma demeure, comment se
fait-il que notre ami ait pu connaître si promptement la décision du
conseil de guerre ? – Mais bientôt j’entendis un bruit sourd qui
retentissait sur le pavé dans le silence de la nuit. Des pièces de canon
et des caissons de poudre, dont les roues étaient soigneusement
entourées de foin, passèrent devant moi, se dirigeant lentement vers le
pont de l’Elbe. – La nouvelle était cependant vraie, me dis-je. Je
suivis le convoi, et j’arrivai jusqu’au milieu du pont, où une arche
qu’on avait fait sauter, avait été remplacée par des madriers de bois.
De
chaque côté s’élevaient de hautes palissades. Je m’appuyai contre le
parapet du pont, pour n’être pas remarqué. Tout à coup il me sembla
qu’une des palissades s’agitait çà et là, se baissant vers moi, et qu’il
en sortait des paroles confuses. (A suivre…)
29 juin 2011
1.Contes