Au coin de la cheminée
Saint Antoine (5e partie)
Résumé de la 4e partie : Saint Antoine qui a tué le soldat prussien, l’enfouit sous un tas de fumier…
Vers minuit, son chien de garde, une sorte de demi-loup qu’il appelait :
«Dévorant», se mit à hurler à la mort. Le père Antoine frémit jusque dans les moelles ; et, chaque fois que la bête reprenait son gémissement lugubre et long, un frisson de peur courait sur la peau du vieux.
Il s’était abattu sur une chaise, les jambes cassées, hébété, n’en pouvant plus, attendant avec anxiété que «Dévorant» recommençât sa plainte, et secoué par tous les sursauts dont la terreur fait vibrer nos nerfs.
L’horloge d’en bas sonna cinq heures. Le chien ne se taisait pas. Le paysan devenait fou. Il se leva pour aller détacher la bête, pour ne plus l’entendre. Il descendit, ouvrit la porte, s’avança dans la nuit.
La neige tombait toujours. Tout était blanc. Les bâtiments de la ferme faisaient de grandes taches noires. L’homme s’approcha de la niche. Le chien tirait sur sa chaîne. Il le lâcha. Alors «Dévorant» fit un bond, puis s’arrêta net, montra ses crocs, le poil hérissé, les pattes tendues, le nez tourné vers le fumier.
Saint Antoine, tremblant de la tête aux pieds, balbutia : «Qu’est-ce que t’as, donc, sale rosse ?» et il avança de quelques pas, fouillant de l’œil l’ombre indécise, l’ombre terne de la cour.
Alors, il vit une forme, une forme d’homme assis sur son fumier !
Il regardait cela, perclus d’horreur et haletant. Mais, soudain, il aperçut auprès de lui le manche de sa fourche piquée dans la terre ; il l’arracha du sol : et, dans un de ces transports de peur qui rendent téméraires les plus lâches, il se rua en avant, pour voir.
C’était lui, son Prussien, sorti fangeux de sa couche d’ordures qui l’avait réchauffé, ranimé. Il s’était assis machinalement, et il était resté là, sous la neige qui le poudrait, souillé de saleté et de sang, encore hébété par l’ivresse, étourdi par le coup, épuisé par sa blessure.
Il aperçut Antoine, et, trop abruti pour rien comprendre, il fit un mouvement afin de se lever.
Mais le vieux, dès qu’il l’eut reconnu, écuma ainsi qu’une bête enragée.
Il bredouillait : «Ah ! cochon ! cochon ! t’es pas mort ! Tu vas me dénoncer, à cette heure… Attends… attends !»
Et, s’élançant sur l’Allemand, il jeta en avant de toute la vigueur de ses deux bras sa fourche levée comme une lance, et il lui enfonça jusqu’au manche les quatre pointes de fer dans la poitrine. (A suivre…)
Contes merveilleux
26 juin 2011
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