Histoires vraies
Roudi et moi dans la même tombe (5e partie et fin)
Résumé de la 4e partie n Mme Fischerbold qui veut se suicider, se place au milieu de la voie alors que le train n’est plus qu’à 200 m d’elle…
Après avoir fait hurler sa sirène, le conducteur actionne brutalement les freins, et dans un hurlement le lourd convoi s’arrête à quelques pas.
Dans le bureau du commissariat, un vieux policier bourru, ancien combattant qui doit à une grenade sa gueule de travers, voit s’asseoir devant lui le distingué expert en psychiatrie qui vient d’interroger la criminelle :
«Alors ?
— Alors c’est une dépression, dit le psychiatre aux cheveux en brosse, essuyant ses lunettes.
— Une dépression ? Dites plutôt que c’est une folle !
— Elle a en effet le comportement d’une folle, admet le psychiatre. Etre fou, c’est avoir un comportement anormal. Si je suis là, c’est pour expliquer pourquoi, comment elle en est arrivée à ce comportement que vous appelez : la folie…
Je vous en parle ou je me contente de faire un rapport au Parquet ?
— Allez-y, grogne le vieux policier, je vous écoute.
— Eh bien, Mme Fischerbold a été poussée à l’assassinat par un complexe mère-fils maladif. Celui-ci s’est aggravé après la mort de son mari, pour prendre de monstrueuses proportions lorsqu’elle a su qu’elle allait perdre Rodolph à cause de ce mariage. La psychose dépressive, d’abord lente, est devenue une force capable de faire exploser sa personnalité.
— Je veux bien, mais de là à tuer son fils…
— Ce n’est pas tellement étrange, monsieur le commissaire, cela peut arriver à bien des gens, n’importe quand, n’importe où. L’assassinat a été préparé soigneusement et n’a donc pas eu lieu dans un instant de colère : ce n’est pas un crime passionnel. Le but d’une personne dépressive, son objectif essentiel, c’est de se nuire, de se démolir, de se détruire. Et tout ce qui lui barre le chemin, tout ce qui l’empêche d’atteindre ce but doit être écarté, anéanti, quoi que ce soit ou qui que ce soit. Dans le cas de cette femme, la dépression est tellement forte qu’elle a éteint l’amour très réel qu’elle portait à son fils. Son fils vivant, elle ne pouvait pas se suicider, alors elle l’a tué.
— Moi je veux bien, grogne encore le commissaire, mais comment expliquez-vous le cynisme avec lequel elle vient de m’avouer son crime ?
— Ce n’est pas du cynisme, monsieur le commissaire, mais une sorte de sérénité. Elle m’a dit : «A présent, je suis contente de ne pas m’être suicidée. Maintenant, je peux expier. Je veux expier.» La mort du fils a supprimé le complexe, donc supprimé l’intention de se suicider. Les onze mille marks qu’on a trouvés sur elle démontrent que, consciemment ou non, elle ne comptait plus se suicider. Elle m’a expliqué : «Je les ai mis sans réfléchir dans mon sac.»
Un petit détail : l’église catholique refusera à Rodolph un enterrement religieux, le considérant comme excommunié. Explication : il avait l’intention d’épouser Ingrid dans une église protestante.
Les conventions et les explications à propos de tout, et son tout, finiront-elles par rendre fous jusqu’à ceux qui les créent et les recherchent ?
Pierre Bellemare
26 juin 2011
Histoire