Au coin de la cheminée
Saint Antoine (4e partie)
Résumé de la 3e partie : Antoine tente de faire rouler le Prussien dans le fossé. Ce dernier, devant la récidive du paysan, lui assène un coup qui le fait vaciller…
Alors, enflammé d’eau-de-vie, le vieux saisit l’homme à bras-le-corps, le secoua quelques secondes comme il eût fait d’un petit enfant, et il le lança à toute volée de l’autre côté du chemin. Puis, content de cette exécution, il croisa ses bras pour rire de nouveau.
Mais le soldat se releva vivement, nu-tête, son casque ayant roulé, et, dégainant son sabre, il se précipita sur le père Antoine.
Quand il vit cela, le paysan saisit son fouet par le milieu, son grand fouet de houx, droit, fort et souple comme un nerf de bœuf.
Le Prussien arriva, le front baissé, l’arme en avant, sûr de tuer. Mais le vieux, attrapant à pleine main la lame dont la pointe allait lui crever le ventre, l’écarta, et il frappa d’un coup sec sur la tempe, avec la poignée du fouet, son ennemi qui s’abattit à ses pieds.
Puis il regarda, effaré, stupide d’étonnement, le corps d’abord secoué de spasmes, puis immobile sur le ventre. Il se pencha, le retourna, le considéra quelque temps. L’homme avait les yeux clos ; et un filet de sang coulait d’une blessure au coin du front. Malgré la nuit, le père Antoine distinguait la tache brune de ce sang sur la neige.
Il restait là, perdant la tête, tandis que son tombereau s’en allait toujours, au pas tranquille des chevaux.
Qu’allait-il faire ? Il serait fusillé ! On brûlerait sa ferme, on ruinerait le pays ! Que faire ? que faire ? Comment cacher le corps, cacher la mort, tromper les Prussiens ? Il entendit des voix au loin, dans le grand silence des neiges. Alors, il s’affola, et, ramassant le casque, il recoiffa sa victime, puis, l’empoignant par les reins, il l’enleva, courut, rattrapa son attelage et lança le corps sur le fumier. Une fois chez lui, il aviserait.
Il allait à petits pas, se creusant la cervelle, ne trouvant rien. Il se voyait, il se sentait perdu. Il rentra dans sa cour. Une lumière brillait à une lucarne, sa servante ne dormait pas encore ; alors il fit vivement reculer sa voiture jusqu’au bord du trou à l’engrais. Il songeait qu’en renversant la charge, le corps posé dessus tomberait dessous dans la fosse : et il fit basculer le tombereau.
Comme il l’avait prévu, l’homme fut enseveli sous le fumier. Antoine aplanit le tas avec sa fourche, puis la planta dans la terre à côté. Il appela son valet, ordonna de mettre les chevaux à l’écurie ; et il rentra dans sa chambre.
Il se coucha, réfléchissant toujours à ce qu’il allait faire, mais aucune idée ne l’illuminait, son épouvante allait croissant dans l’immobilité du lit. On le fusillerait ! il suait de peur ; ses dents claquaient ; il se releva en grelottant, ne pouvant plus tenir dans ses draps.
Alors il descendit à la cuisine, prit la bouteille de fine dans le buffet, et remonta. Il but deux grands verres de suite, jetant une ivresse nouvelle par-dessus l’ancienne, sans calmer l’angoisse de son âme. Il avait fait là un joli coup, nom de Dieu d’imbécile !
Il marchait maintenant de long en large, cherchant des ruses, des explications et des malices ; et, de temps en temps, il se rinçait la bouche avec une gorgée de fil-en-dix pour se mettre du cœur au ventre.
Et il ne trouvait rien. Mais rien. (A suivre…)
Contes merveilleux
26 juin 2011
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