«La dictature est la forme la plus achevée de la jalousie» Curzio Malaparte écrivain italien (1898-1957)
Le printemps arabe! Ce mot fait désormais partout sensation au grand dam des dictateurs de toute la planète mais également et surtout au grand bénéfice des peuples arabes ravagés par les reptations insidieuses du despotisme aveugle. C’est notamment vrai d’autant plus que les espagnols en mai dernier ont tenté leur coup en remettant en cause les réformes entreprises par le gouvernement socialiste de Zapatero et les grecs en ce début de juin se dressent sur le marchepied de la révolte afin de dénoncer les politiques d’austérité engagées par leur l’État afin d’absorber les retombées fâcheuses de la crise d’endettement dont pâtit le pays sur leur tissu social. Le mot révolution est on ne peut plus, sur toutes les lèvres, il n’est, semble-t-il, plus une création tétralogique de la mythologie grecque ancienne, bien au contraire, il est à n’en point douter, le vocable propre au lexique arabe post-janvier 2011 et par-dessus tout le reflet réel de cette vitrine incandescente de la crise économique mondiale. Du coup, on ne s’étonnera pas que, de par son ampleur géopolitique, l’insurrection arabe a suscité de la jalousie chez les masses européennes. Encore ces dernières en précipitent-elles un semblant effet boomerang hallucinant. Cette étincelle évanescente du jusant révolutionnaire s’est en fait déteinte sur la conscience universelle. En ce sens, la plèbe arabe a recentré tout l’imaginaire humain sur elle en mettant en pièces le subterfuge fallacieux patiemment entretenu par les chancelleries occidentales faisant de la nullité civilisationnelle de cette région sensible du monde un postulat certain. Au surplus, les classes défavorisées ont tiré du néant ce sésame passe-partout de l’anti-despotisme «la révolution». Celle-ci fait craindre le pire à tous ceux qui pourraient s’aventurer dans l’arène des autoritarismes en se glissant sur la pente du mépris de la volonté populaire.
Dans ce contexte, l’on saurait affirmer à bon endroit que les pays occidentaux, quelques forts qu’ils puissent être sont dans le moment actuel en butte à ce type de révoltes de masses dans la mesure où les réseaux sociaux, véritable levier de communication aux yeux de la jeunesse, influencent toutes les couches sociales et à tous les niveaux. Cela paraît aller de soi si l’on se tourne vers le dernier «remake» du scénario de la place «Al-Tahrir» égyptienne à la place de «Puerta del Sol» à Madrid, une preuve parmi d’autres de cet exotisme contagieux du printemps arabe sur la vieille Europe menacée par les effets pervers d’une crise économique qui, paraît-il, dépasse de loin ses capacités d’endurance. A titre d’exemple, en dépit des dernières aides économiques substantielles de l’Union européenne à la Grèce, environ 110 milliards d’euros débloqués en mai dernier par la zone euro, les politiques d’austérité exigées en contrepartie ont creusé lamentablement un fossé immense entre la base sociale et le sommet politique, la gangrène de la crise a fait des entailles profondes dans le corps social grec et menace de ramper sur toute l’Europe, l’Espagne et l’Italie pour n’en citer que ces deux pays en sont sérieusement touchés. Dans la foulée, on subodore les raisons de ce ralliement inattendu des peuples sous le mot d’ordre de la révolte, les hypothèses les plus étranges et les moins contrôlables se font régulièrement jour: Le printemps arabe serait-il ce genre de révolution archétypale-déclic ou, disant le, en termes plus anodins, cette révolution-pilote préludant un nouvel ordre mondial plus juste et plus tolérant? Il appert très nettement à priori que la vacuité des politiques économiques néolibérales ont émoussé les vertus décapantes de la démocratie.
C’est pourquoi, il est judicieux de parler présentement de la mort de la démocratie au sens classique du terme, c’est-à-dire, ce soi-disant consentement citoyen sur la base d’un contrat social de la gouvernance des élites dans la mesure où les assises politiques indestructibles de la démocratie de naguère se trouvent de nos jours confrontées au déluge du pragmatisme économique. En ce sens, la théorie du matérialisme historique dont avait parlé «Karl Marx» (1818-1883) dans son ouvrage «le capital», il y a plus d’un siècle, c’est-à-dire, la prépondérance de l’économique sur le politique, trouve réellement ses lettres de noblesse et démontre actuellement son efficience dans la gestion optimale des pays vu que la force des démocraties occidentales ne réside pas seulement dans la légalité institutionnelle de leurs régimes politiques mais encore et surtout dans l’efficacité de leur mode économique, à preuve que l’U.E a pris son départ en communauté économique et non plus en entité politique.
Or, au lendemain des répercussions pernicieuses de la crise économique dont les prodromes sont apparus en fin de 2008, les masses européennes commencent à ressentir dans leur chair propre l’iniquité du système libéral sauvage, raison pour laquelle elles aspirent à s’approprier le modèle insurrectionnel arabe. Dans cette perspective, autant vaudrait mettre en exergue le fait que les peuples arabes opprimés ont réussi, dans leur divergence despotique et syncrétisme culturel, à s’écarter de la systématisation automatique de la pensée totalitaire, un constat valable en bien des lieux car c’est en cela même que gisait leur génie, autrement dit, les dictatures et les corps sociaux sont quasiment dissemblables à bien des égards et évoluent à géométrie variable n’en déplaise aux autocrates zélés vautrés sur leur trône. Plus explicite et débordante est cette imagination libre qui s’est développée anarchiquement mais sereinement en dehors des sphères des systèmes politiques bien fossilisés contrairement aux sociétés occidentales postindustrielles où les régimes politiques et les systèmes sociaux sont intimement liés les uns aux autres voire interdépendants et entrés en corrélation étroite depuis pratiquement belle lurette, ce qui leur a permis de phagocyter de la sorte les espaces d’aération de la pensée. Les masses occidentales et même certaines de leurs élites sinon la majorité d’elles sont alors devenues formatées dans le moule de voies précises et de canons balisés de la fameuse idéologie de «la société de consommation». Ainsi pourrait-on parler à juste raison de «démocraties dictatoriales» en ce qui concerne les sociétés occidentales et de «dictatures démocratiques» quant aux oligarchies arabes puisque les démocraties sont en bien des points synonymes du rigorisme légal et de contraintes politiques en tout ordre et les dictatures vu qu’elles sont totalitaires et assassines de libertés individuelles favorisent par ricochet, une certaine «intelligence de la débrouille» ou ce genre de» pensée de bricolage» pour reprendre le mot de l’anthropologue français Claude Lévis Strauss, de la part des masses, laquelle serait à même de faciliter, si besoin est, le contournement du despotisme par des moyens divers: l’activisme politique, les manifestations antisystème et les démonstrations de force. La dictature agit ainsi à son détriment sans s’en rendre compte.
Il est certain que l’effet du hasard a fait émerger dans le paysage et l’atmosphère politico-économique arabes sclérosés, une sorte de nouvel univers social régénéré, autrement dit, une nouvelle trace répétable et irréversible de la conscience citoyenne en contrepoint de l’autoritarisme étatique suranné. Celui-ci s’est fait, en un laps de temps exceptionnel, cruellement devancer par une véritable solidarité agissante entre les masses et la société civile ayant fomenté par la suite un dynamisme organisateur de toutes les énergies vives. Les masses se sont alors dressées d’un seul élan dans le seul dessein de reconquérir leurs droits confisqués et les représentations collectives, dans un certain nombre de cas, ont pris le dessus sur les visées individualistes des élites. La rengaine exceptionnelle de la révolte a gagné toutes les strates de la société dans un épanchement de passions phénoménal que les sociétés européennes actuelles, très rationalistes et fort systématisées n’arrivent point à comprendre puisqu’elles vivent dans des univers frictionnels clos et rigides dont il est presque impossible de s’en défaire. Cela nous mettrait inéluctablement sur la voie interrogative suivante: l’évolution cyclique des civilisations dont avait parlé le grand sociologue de tous les temps «Ibn Khaldoun» (1332- 1406) serait-elle toujours opérante et efficiente dans le cas du printemps arabe? Comment pourrait-on justifier cette renaissance subite et cette régénération ex-nihilo d’une aire géographique agonisante et pourrissante pendant très longtemps et qui, en un temps record, a ragaillardi l’image de ces peuples soumis à la stagnation aux yeux de toute l’humanité? Il semble a fortiori que le monde arabe est rentré dans une phase inédite d’irrédentisme politique et d’exigence sociale d’autonomie en mettant à nu ses tares rédhibitoires et ses failles structurelles, et qui de surcroit a échappé au kaléidoscope de l’imaginaire occidental étriqué, réducteur et constellé de tant de clichés péjoratifs à son égard. Ce qui rend inévitablement jaloux. En effet, cette méthode expéditive ayant vivement empreint le comportement des masses populaires avant, pendant et après le volcan révolutionnaire tunisien aurait laissé un avant-goût formidable de leur baptême de feu dans leur vivier social, politique et surtout d’exigence.
La rapidité avec laquelle sont détrônés les despotes arabes doit son ascendant aux émois émotionnels qu’avait laissés traîner dans l’inconscient collectif arabe en général et tunisien en particulier la vie sacrifiée de «Mohammed al-Bouazzizi», le premier martyr par excellence de la cause légitime des peuples. L’immolation par le feu, un acte sacrificatoire digne du «hara-kiri» japonais mais en sens inverse, nous met devant cette différence monumentale entre la culture orientale spiritualiste et celle de l’Occident matérialiste. Se donner corps et âme à sa mère patrie, à son peuple et à la collectivité sont des vertus tombées en désuétude dans les sociétés consuméristes, sinon comment pourrait-on expliquer ce ton abasourdi et plein d’interrogations de tous les médias occidentaux face à cette contagion extrêmement positive du vent de la révolte à toutes les régions arabes jusqu’au point de douter d’une certaine manipulation des officines du (C.I.A) américain? Les ressorts moteurs de la rue arabe demeurent toujours méconnus dans l’inconscient collectif occidental. Ce sont, saurait-on dire, des angles en latence qu’on ne comprendrait jamais si l’on n’analysait pas la culture du «sacrifice du soi» propre à la culture orientale.
Le souci éminemment pragmatique de l’individualisme n’existe pas en lui-même dans les tréfonds des citoyens, l’insurrection semble être plus intégrative et plus rigoureuse dans la mesure où elle a fédéré les revendications de l’ensemble des contrées arabes sous le mot d’ordre de la recherche de bonne gouvernance car dans la plupart de ces pays-là, les organisations informelles, les clans, les dynasties, les liens tribalistes ont faussé la bonne marche de la société. Encore que cette dernière fallait-elle s’attendre à des étapes de transition très lentes voire dures surtout en Tunisie et Égypte en raison du manque d’alternatives viables à la dictatures déchue pour l’une, de la mainmise de l’armée dans les affaires, la défaillance sinon l’absence d’une société civile hyperorganisée, du moins, dans les premiers temps de la transition et la peur du retour à la case de départ par la suite, pour l’autre. C’est pourquoi, le prototype à la turc fascine à merveille la rue arabe dans les circonstances actuelles. Au bout du processus, il s’avère que ce regain d’intérêt pour des sociétés longtemps vues sous l’angle déprimant du dépérissement aussi bien social que politique nous met en face de la métamorphose excessivement béatifique des gisements idéels des sociétés arabes. Les autorités Grecques, espagnoles, et italiennes, en s’embourbant dans les miasmes de la crise ont compris que finalement la révolte n’est plus l’apanage de populations opprimées sous des despotismes politiques archaïsants et s’accordent à dédaigner cette espèce de légitimité légale de dompteur et cette injustice économique blâmable de prédateur, les deux versants sont d’une complémentarité négative étonnante. A ce titre, il est judicieux de rappeler que les dictatures arabes, virtuoses en manipulations diverses, n’ont pu être mises en capilotade que parce qu’elles ont oublié que seul les peuples sont le véritable intercesseur entre d’une part les lois, les États et les institutions, et d’autre part la bonne gouvernance et la démocratie, variables dépendantes les unes des autres dans le grand jeu qu’on appelle : la politique. En ce sens, la rue arabe est orfèvre en la matière et a donné des leçons qu’il faut impérativement retenir.
25 juin 2011
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