Histoires vraies
Monsieur le juge est intraitable (3e partie)
Résumé de la 2e partie : Récemment opérée d’un cancer, Lydie B. sera emprisonnée. Le juge refusant que son traitement lui soit administré, la transfère dans un hôpital pénitentiaire…
Je vous préviens, monsieur le juge, c’est un autre risque que vous prenez, elle peut mourir faute de soins.
— Cher maître, elle ne manquera pas de soins là où elle est. L’incident est clos.
— Oh! non, monsieur le juge, il n’est pas clos. Cette femme ignorait jusqu’à présent la nature de son mal. Elle est trop sensible.
Elle croit avoir subi une opération classique. Le médecin lui a fait croire à une tumeur bénigne. Il attendait d’être sûr de la guérison pour tout lui dire. Vous savez, comme moi, que le moral du malade est important dans ce genre de choses. Or elle avait toutes les chances de guérir. Ce genre de cancer est guérissable à 90%, on le sait maintenant…
— Et alors ?
— Alors, je doute que vos médecins de prison prennent les mêmes précautions.
— Vous doutez trop, cher maître. L’incident est clos, je le répète, ceci n’est pas mon problème.
— Je peux faire intervenir mon conseil de l’ordre, en appeler à votre ministre !
— Faites, mais ne m’en parlez plus. J’ai cinq cents dossiers de drogue sur mon bureau, dont celui de votre cliente, et c’est la seule chose qui compte pour moi.»
Voilà pourquoi Lydie a longé des couloirs nus et blancs, pour se retrouver dans une cellule-hôpital, seule. Voilà pourquoi le jeune policier qui a refermé la porte sur elle était un peu gêné. Il avait l’impression de faire du mal inutilement.
Mais la vie continue, en prison comme ailleurs au rythme de l’instruction qui va durer huit mois.
Lydie B., trente-huit ans, est une jeune femme assez jolie, petite, elle porte une chevelure épaisse et sombre sur les épaules et une frange vient souligner la beauté de ses yeux gris. Elle est pâle, un peu vieillie prématurément, lasse de tout.
Depuis deux mois, elle a épuisé sa colère, son indignation et le peu de force qu’elle avait en réserve.
Un brave vieux médecin l’examine dans la salle de consultation de l’hôpital pénitentiaire.
«Alors, mon petit, qu’est-ce qu’on vous a fait ?»
D’une voix morne, Lydie énumère les examens, l’opération. Le médecin n’est pas un grand spécialiste, mais il comprend très vite.
«Bon, je suppose que le travail a été bien fait. De nos jours, vous savez, ce genre de cancer guérit très bien.
— Cancer ?»
Trop tard. Et c’était inévitable… dans les circonstances présentes en tout cas. Bien entendu, si «on» avait permis au médecin traitant de Lydie de prendre contact avec son successeur, il n’aurait pas commenté la chose avec autant d’inconscience. A présent, il ne sait plus quoi dire, car Lydie le regarde les yeux exorbités :
«Cancer ?
— Mon petit, on a dû vous le dire, je suppose. Si j’en crois ce que vous me dites, et les soins qu’on vous a donnés… je suis désolé…
— Cancer ? Docteur, je vous en prie, je veux savoir la vérité. Je veux voir mon médecin.
— Il ne peut pas venir, vous le savez, le règlement est formel. C’est moi qui vous prends en charge maintenant. Mais n’ayez pas peur, il ne s’agit que de soins post-opératoires.
— Je vous en prie ! Je veux mon médecin ! Téléphonez-lui ! C’est ça, téléphonez-lui, vous, vous pouvez le faire ! Vous avez le droit de parler à un confrère je suppose ? Faites-le, s’il vous plaît. Je veux qu’il le dise lui-même.» (A suivre…)
Pierre Bellemare
22 juin 2011
Histoire