Histoires vraies
Métis de Dieu et du Diable (1re partie)
Mexico 1952. La capitale du Mexique peut rivaliser par certains côtés avec Paris, Londres ou New York. Des rues illuminées, des gratte-ciel, de somptueuses résidences. C’est le centre, le côté riche.
Le côté pauvre est à l’est. Des quartiers misérables, qui s’étendent sur des kilomètres, jusqu’aux marécages qui rejoignent le lac Texcoco. Plus les marécages approchent, et plus les maisons sont rudimentaires. Ce sont des cases de boue séchée dont l’architecture n’a pas varié depuis des millénaires.
Tout un peuple d’Indiens et de métis s’y entasse dans un grouillement défiant tous les recensements, et tous les règlements de police.
Là, tout est possible. Le crime, la prostitution, les combines misérables qui aident à vivre des familles nanties pour la plupart d’une demi-douzaine d’enfants. Quelques prêtres tentent de moraliser cet état sauvage, avec plus ou moins de bonheur. Ici se dresse une église, dont le clocher dépasse majestueusement les cases. Mais les fidèles sont rares, car il est de bon ton, dans ce quartier pauvre, d’être un prolétaire anticlérical. C’est une manière de rompre définitivement avec le passé féodal, trop longtemps confondu avec l’image des prêtres eux-mêmes.
Voici pourtant une exception : Manuel Fragoso, Manuel le tisserand. Un homme grand et maigre d’allure ascétique, au visage extraordinaire. On le dirait sculpté dans du bois ancien.
Manuel est un ouvrier remarquable, un travailleur infatigable. Ses relations avec ses voisins de case sont d’une douceur et d’une bonté angélique. Il assiste à la messe régulièrement, et pour le curé de sa paroisse, Manuel Fragoso est un saint homme. Un homme digne dans la pauvreté et le travail, comme dans le célibat.
Le visage terrible de cet homme, terrible de beauté et de rigueur, de noblesse espagnole et indienne, ferait le bonheur des touristes photographes et à lui seul, il pourrait représenter le Mexique traditionnel sur une affiche d’agence de voyages.
Manuel Fragoso, quarante-sept ans, tisserand habile, métis à la beauté étrange, a le visage d’un Christ qui serait né Mexicain. Mais il est le héros d’une histoire vraie incroyable, un héros satanique, dont la vie secrète et monstrueuse dépasse l’imagination.
Dans la partie du quartier pauvre la moins pauvre, celle des commerçants, les magasins ne sont pas luxueux. Les boutiques sont en bois et couvertes de tôle, mais portent un nom et un numéro. Epicene Fernandez n°7, calle San Fernando, par exemple.
Là, on vend et on achète, le facteur apporte le courrier, c’est un endroit répertorié, à la limite de la jungle aux cases de boue séchée. Pour autant, cette partie du quartier bénéficie du même curé, et de la même police que l’autre.
Le curé a soixante-dix ans, le commissaire de police presque soixante. Tous deux connaissent bien leurs ouailles : les commerçants des baraques en bois, comme les acheteurs des cases rudimentaires.
Fernandez, l’épicier, est dans sa boutique, ce matin d’avril 1952. Il vend de l’huile et des piments, du sel et des conserves, de la tequila et des galettes de maïs.
Le facteur passe la tête par-dessus les conserves.
«Fernandez ? Oh ! Fernandez ! J’ai quelque chose pour toi.
— Une lettre ?
— Non, y a pas de timbre, et pas d’enveloppe.»
Le facteur tend à l’épicier une espèce de chiffon de papier plié en quatre.
«Qu’est-ce que c’est ? Qui t’a donné ça ?
— Un gamin dans la rue. Il a cru que c’était une lettre que j’avais perdue. Il me réclamait 1/2 peso pour la peine, tu te rends compte ! Je l’aurais pas pris, s’il n’y avait pas eu ton nom, écrit dessus : Pedro Fernandez, épicier, c’est bien toi !» (A suivre…)
Pierre Bellemare
21 juin 2011
Histoire