Histoires vraies
Le prisonnier oublié (6e partie et fin)
Résumé de la 5e partie : C’est la fin du cauchemar pour Studer que l’on sort de prison pour le conduire à l’hôpital…
On vient de le trouver dans la cellule. Impossible, voyons, il n’a même jamais été arrêté. Mais si… on vient de l’emmener en ambulance… Alors s’il a été arrêté c’est pas moi. Si c’est pas toi, c’est lui. C’est ni moi ni lui… C’est toi… Et d’abord est-ce que vous êtes sûr qu’il s’agit bien de Peter Studer ? Où est-il, qu’on vérifie son identité ! A l’hôpital ? Pourquoi à l’hôpital ?»
Parce qu’il est presque mort. Parce qu’il pesait 78 kilos et qu’il en pèse maintenant 54. Parce qu’il y a dix-huit jours qu’il a été jeté dans ce trou sans lumière, humide. Dix-huit jours sans manger ni boire.
Tandis que l’affaire remonte en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire jusqu’au ministère de l’Intérieur, les médecins, d’abord sceptiques, s’aperçoivent rapidement que le jeune Peter récupère avec une rapidité étonnante. Déjà on parle d’un miracle de la médecine. On ne connaît en effet aucun cas où un homme ait survécu sans boire pendant dix-huit jours. Autre miracle, le jeune homme n’a pas gardé de séquelles psychiques après dix-huit jours passés dans l’obscurité totale. Le temps pluvieux, plutôt froid, et le fait qu’il soit tombé dans une profonde apathie ont sans doute contribué à l’heureuse issue de cette extraordinaire aventure.
Huit jours après son hospitalisation, il plaisante déjà. Mais l’administration, elle, ne plaisante pas. Sur le rapport du commissaire spécial, les gendarmes Wilhem et Solenz sont suspendus ainsi que l’inspecteur Schultz. Le ministre de l’Intérieur met 50 000 shillings à la disposition de la municipalité de Hochst pour les soins à donner à Peter.
La mère du garçon engage un avocat dans l’intention de porter plainte. Mais son avocat, qui a la bosse des affaires, monnaie déjà le drame au profit de son jeune client. Les photos de Peter sont vendues 6 000 shillings pièce. La télé, la presse et les magazines se disputent les droits d’une interview avec la victime. Une agence américaine offre 10 000 dollars pour l’exclusivité de son récit.
Tant et si bien qu’on reproche à la mère de faire des affaires avec le drame de son fils.
Alors une de ses voisines déclare à la télévision :
«Elle a quatre petits enfants. Elle doit servir au restaurant et se rendre à tout bout de champ à la police. Peter était le seul à rapporter un peu d’argent à la maison. Pour un peu on l’aurait tué, et vous trouvez honteux qu’elle en tire quatre sous !»
Et la mère de Peter interroge le ministre :
«Tout ça, c’est pour lui, vous comprenez. Est-ce que je dois continuer, on me reproche de faire de l’argent…
— Continuez. Vous gagnerez certainement votre procès. Mais qui peut savoir combien votre fils recevra d’indemnités, et quand ? Alors, en attendant, prenez l’argent où vous pouvez.»
Judicieux conseil d’un ministre prudent.
Pierre Bellemare
21 juin 2011
Histoire