Histoires vraies
Le maso
Résumé de la 4e partie :Son épouse Pauline lui étant totalement soumise, on ne comprend pas les raisons du comportement de J.-C. Valtaille…
Il a commencé comme manutentionnaire avant de devenir chef de rayon. Il ne sortait jamais, même le dimanche, et faisait la vaisselle à l’occasion. Un témoin dira : «La douceur faite homme.»
Non seulement Pauline ne lui connaît pas de liaison, mais personne ne l’a jamais vu en compagnie d’une autre femme.
C’est tout juste si on lui découvre un petit flirt sans importance avec une vendeuse du magasin qui le trouvait gai et enjoué. C’est une fille au front bombé, assez jolie mais au regard dur. Faut-il découvrir un mobile valable dans une phrase que la vendeuse répète au juge : «Dommage que je sois marié, aurait-il dit, et que je ne vous aie pas rencontrée avant ma femme ?» Boutade à laquelle la vendeuse a répondu : «Vous auriez eu vos chances peut-être.»
«Vous lui avez dit ça ?
— Oui, mais il y a plusieurs mois. S’il avait pris cette remarque au sérieux je pense qu’il n’en serait pas resté là.»
Cette vendeuse a sans doute raison. Alors ?
Alors c’est de sa première femme que va venir la vérité, car le «sympathique chef de rayon» a été marié une première fois et sa première femme l’a quitté. C’est une brunette autoritaire aux yeux pétillants de malice avec une grande bouche, mince, serrée comme les lèvres d’une huître.
«Pourquoi l’avez-vous quitté ?
— Parce qu’il m’agaçait.
— Et pourquoi vous agaçait-il ?
— Parce qu’il était trop gnangnan.
— Il paraît que vous lui avez mené la vie dure…
— On a même dû vous dire que je le trompais et que je le battais. Non ? Eh bien, c’est vrai. Moi qui suis haute comme trois pommes, je me permettais de le battre. Et si vous voulez savoir la vérité c’est pour ça que je suis partie, parce que je le battais de plus en plus souvent. Il s’y prenait de telle façon qu’il me mettait hors de moi. Il me cherchait jusqu’à ce que je le frappe. Depuis j’ai réfléchi, et j’ai compris. Je crois qu’il aimait ça, c’est un maso… Et vous voulez que je vous dise ? Qu’il ait voulu tuer sa femme, ça ne m’étonne pas. D’après ce que j’en sais, cette pauvre Pauline est tout le contraire de moi, jamais un mot plus haut que l’autre : l’homme a toujours raison, pour elle c’est le calme, l’apathie, l’indifférence, la servilité, bref une dépendance complète. Ça devait être effroyable pour lui, invivable, insoutenable. Jeanjean a voulu la tuer parce qu’il s’ennuyait de ne pas être malheureux.»
Aussi étonnant que cela paraisse, c’est en effet le seul mobile que la police retiendra pour expliquer cette tentative criminelle et c’est la seule défense que le sympathique chef de rayon présentera devant le tribunal : il s’ennuyait avec sa femme.
Sadomasochiste, il fallait qu’il souffre ou fasse souffrir. Mais Pauline était bien incapable de faire souffrir. Pire que cela : prête à tout, acceptant tout (même en amour) elle donnait l’impression de n’être même pas capable d’une souffrance quelconque.
Fidèle à son personnage, elle refusa d’ailleurs de se porter partie civile. Tout ce qu’elle trouvera à dire lorsqu’elle lui sera confrontée ce sera :
«Pourquoi m’as-tu fais ça ? Tu sais bien que je suis enceinte de six mois.»
Mais elle accouchera à terme d’un garçon parfaitement constitué, et son mari en prendra pour cinq ans.
Pierre Bellemare
21 juin 2011
Histoire