Histoires vraies
Le maso (4e partie)
Résumé de la 3e partie : J.-C.Valtaille – prétextant un rendez-vous avec l’oncle Lafaille – réveille Pauline et l’emmène aux étangs de Corot pour l’y noyer…
Disons tout de suite que le crime, sans être parfait, a été parfaitement prémédité. L’avant-veille du jour fixé pour la noyade de sa femme, le «sympathique chef de rayon» l’a priée d’un air tout à fait naturel de tracer quelques phrases sur une feuille de papier.
«Pour quoi faire ?
— J’ai un camarade graphologue. Grâce à quelques phrases, il te dressera un horoscope valable pour un an.
— Ah ! bon… et quelle phrase je dois mettre ?
— Prends ce crayon, je vais te dicter. Mais tu laisseras des blancs aux endroits que je t’indiquerai !»
C’est ainsi que sans manifester ni curiosité ni intérêt particulier, passive comme à son habitude, Pauline écrivit le texte suivant :
«Excuse-moi (un blanc) chéri, (un blanc). Il faut que je (encore un blanc) quelque chose, ça va te faire beaucoup de (un blanc) que je porte (un blanc). J’ai fait (un blanc) ce que j’ai pu pour le faire (un blanc) tu t’es rendu compte, cette nuit, comme j’ai eu (un blanc). Pour ne pas faire (un blanc) dans la famille, je préfère (un blanc) aller rejoindre (un blanc). Pour le temps que nous avons passé ensemble, j’ai été très heureuse, je t’en remercie. Prends bien soin de (un blanc). Avec tout l’amour que j’ai pour toi (un blanc), Pauline.»
Il y a de quoi rester confondu devant cette femme qui accepte d’écrire un texte pareil sans chercher à comprendre ! Même sans méfiance, même avec les mots qui manquaient lui retirant tout son sens, quelques bribes de phrases auraient dû la laisser perplexe !
Au magasin, le lendemain, le toujours sympathique chef de rayon avait complété les espaces vides en imitant la maladroite écriture de sa femme. Au crayon, c’est évidemment beaucoup plus facile, car il pouvait gommer et recommencer. Le texte prenait alors la signification très précise d’une lettre d’adieu et de l’annonce d’un suicide.
Tout cela bien sûr ne fournit pas le mobile. Et comme le criminel se tait obstinément, les enquêteurs et le juge d’instruction en sont réduits à le trouver eux-mêmes.
Or, il faut signaler que tant à Ville-d’Avray qu’à Marne-la-Coquette, dans les deux familles, et au grand magasin où travaille le criminel, l’opinion générale était très favorable à ce couple.
Le monde judiciaire va donc se pencher avec intérêt sur le cas de cet homme. S’il s’était agi d’un violent, d’un passionné ou d’une crapule, le crime eut été aisément explicable, mais ce n’est pas le cas.
Pendant des semaines, on interroge des centaines de gens qui l’ont plus ou moins connu depuis sa naissance et l’opinion unanime confirme l’impression qu’il donne : c’est le meilleur garçon du monde, prévenant, sympathique, excellent travailleur, très sérieux. Il a commencé comme manutentionnaire avant de devenir chef de rayon. Il ne sortait jamais, même le dimanche, et faisait la vaisselle à l’occasion. Un témoin dira : «La douceur faite homme.»
Non seulement Pauline ne lui connaît pas de liaison, mais personne ne l’a jamais vu en compagnie d’une autre femme. (A suivre…)
Pierre Bellemare
21 juin 2011
Histoire