Histoires vraies
Métis de Dieu et du Diable (3e partie)
Résumé de la 2e partie: Pedro Fernandez porte au commissaire de police, le papier signé Maria Pia – le prénom de sa sœur – disparue en 1930…
Elle n’était pas dans la voiture, elle avait été renversée dans l’accident.
— Tu l’as reconnue ?
— Oui… enfin, ma mère et moi nous avons dit que c’était elle. Vous savez, c’était difficile. La pauvre était déchiquetée, le visage brûlé, on ne voyait pas grand-chose. Et la police était sûre. Il y avait un morceau de robe rouge, et les nattes correspondaient. De plus, l’accident avait eu lieu sur son trajet.
— Donc, il est possible que le cadavre que vous avez reconnu à l’époque ne soit pas celui de ta sœur ?
— C’est possible, señor commissaire. Mais je n’ose pas y croire. Dieu ne m’enverrait pas une épreuve pareille. Si ma sœur était en vie, depuis vingt-deux ans, elle aurait donné de ses nouvelles.
— Tu n’as pas reconnu l’écriture ?
— Non, señor commissaire. Mais ma sœur est allée à l’école, chez les religieuses, elle écrivait mieux que moi.
— Ecoute-moi bien Pedro. J’ai une idée, mais tu ne vas en parler à personne ! A personne, tu m’entends ? Surtout pas au facteur. Tu n’as qu’à lui dire que c’était une plaisanterie.
— Mais quelle idée, señor commissaire ? Qu’est-ce que c’est ?
— Je ne vais rien te dire pour l’instant. C’est quelque chose qui me revient à l’esprit, une impression que j’ai besoin de vérifier. Tu comprends, ce serait tellement extraordinaire, que je n’y crois pas moi-même. Rentre chez toi, Pedro. Je viendrai te voir demain, et surtout, surtout n’en parle à personne !»
Pedro rentre chez lui, et n’a pas de mal à tenir sa langue. Depuis que sa sœur a disparu, la famille n’existe plus. Le père était déjà mort, la mère l’a suivi quelques années plus tard, et Pedro est resté seul, à l’épicerie, sans femme et sans enfants. Pour vivre pauvre, il vaut mieux vivre seul.
Le commissaire Ribero, lui, s’en va par les ruelles du quartier Est, avec sa petite idée derrière la tête. Il pense à un homme, pourquoi à celui-là précisément ? Pour trois détails, apparemment sans lien. Le premier détail est celui-ci : dans la lettre chiffonnée, la femme qui appelle au secours dit : «Nous filons le coton.»
Le commissaire pense à un homme qui exerce le métier de tisserand et cet homme s’appelle Manuel Fragoso. Un honnête homme, qui fréquente l’église et le curé.
L’église, justement, est le deuxième détail. La femme écrit dans la lettre : «J’entends parfois l’église.» Or Manuel Fragoso n’habite pas loin de cette église, apparemment.
Quant au troisième détail, c’est une supposition, une impression même. Un jour, il y a plusieurs années de cela, le commissaire Ribero a vu Manuel Fragoso, le tisserand, acheter de la lingerie féminine. Cela lui a paru curieux, étant donné la réputation de l’homme, son célibat, et son visage de saint taillé dans du bois.
«Tiens, tiens, s’est dit le commissaire, le bonhomme doit se laisser tenter par le diable, de temps en temps.»
Et il aurait oublié ce détail si, en parlant le soir à sa femme, cette dernière ne l’avait pas rabroué vertement :
«Tu n’as pas honte de dire du mal de cet homme ! Tu es un impie. Tu calomnies à plaisir un serviteur de Dieu. Manuel Fragoso est un ange sur terre, c’est le curé lui-même qui l’a dit !»
C’est le curé que va voir le commissaire Ribero pour lui demander incidemment, l’air de rien, où habite exactement son ouaille préférée, Manuel le tisserand. (A suivre…)
Pierre Bellemare
21 juin 2011
Histoire