Histoires vraies
Le maso (3e partie)
Résumé de la 2e partie : L’oncle de J.-C. Valtaille fait irruption dans le bureau de police et dit au brigadier que Pauline est chez lui…
«Jeanjean avait mis le réveil pour cinq heures dit-elle… Après il s’est levé pour chauffer le café, et il m’a passé mon médicament.
— Qu’est-ce que c’est que ce médicament ?
— Du… du… enfin quelque chose… parce que je suis enceinte de six mois. Puis il m’a dit qu’il fallait que je m’habille parce qu’on avait rendez-vous avec l’oncle Lafaille… Je lui ai dit : «Et Sophie ?» Il m’a dit : «On n’en a pas pour longtemps… laisse-la dormir.»
— Et pourquoi aviez-vous rendez-vous ?»
Pauline ne sait pas. Elle n’a pas jugé utile de poser des questions. En épouse docile, elle s’est vêtue : depuis longtemps, elle a pris l’habitude de se laisser conduire.
Elle a suivi son mari jusqu’aux étangs de Corot où ils sont arrivés vers 5h 20.
L’oncle n’étant pas encore là, son mari a décrété qu’il fallait l’attendre un peu. Le froid était piquant. Autour d’eux, lorsque la brise soufflait, les branches des arbres couverts de givre s’entrechoquaient dans un cliquetis comme si elles étaient en verre. Pauline commençait à s’inquiéter. Elle a tout de même demandé :
«Mais qu’est-ce qu’on fait là ?
— Tu vas le savoir bientôt. Mets-toi près de ce buisson, tu auras moins de vent.»
Son mari lui a désigné un endroit où la berge est la plus haute et l’étang le plus profond.
«C’est à ce moment-là, explique-t-elle au brigadier, que Jeanjean m’a poussée. Il m’a poussée si fort que je suis tombée en arrière. Je pensais que j’allais me faire mal sur la glace de l’étang. Mais la glace était toute mince. Je ne l’ai même pas sentie, j’étais dans l’eau.»
La pauvre Pauline ne sait pas nager… Elle est revenue à la surface car du bout du pied, elle a pu toucher le fond de vase. La peur de mourir de congestion l’a aidée tant bien que mal à se diriger vers une berge plus douce, distante de quelques brasses. Mais au moment où elle allait saisir la branche d’un arbuste, son mari l’a repoussée d’un grand coup de bâton sur la tête.
La scène se déroulait jusque-là dans le silence de la nuit, et Pauline et son mari ressemblaient au fond de la forêt à deux bêtes concentrant leurs forces dans une lutte à mort.
Tout à coup, une image a traversé l’esprit de Pauline : Sophie, sa petite fille de trois ans. Elle s’est mise à crier :
«Au secours ! Ma fille ! Ma fille !»
Comme s’il était pris de remords en songeant à Sophie, son mari lui a tendu la main en lui disant :
«Allez… viens, mon chou.»
Mais ce n’était qu’une ruse pour assener à sa femme un nouveau coup de bâton qu’il espérait décisif.
Cette fois, comme la pauvre Pauline ne bougeait plus dans son bain de glace, son mari s’est éloigné pour prendre des vêtements de pêche secs qu’il avait eu la précaution d’emporter dans une musette.
Allongée dans l’eau glacée qui lui effleurait la bouche, Pauline a attendu d’être sûre qu’il ne reviendrait pas pour se mettre à quatre pattes et remonter la pente. Comprenant dès lors que le froid était son pire ennemi, elle a eu la force et le courage de se traîner jusque chez l’oncle Lafaille, le plombier.
Le brigadier estime que le récit de Pauline se tient. Mais il lui manque deux choses : d’abord une explication sur la lettre d’adieu qu’elle a écrite et qui annonce son suicide ; ensuite un mobile à la tentative criminelle du mari.
Pour ce qui est de la lettre, l’explication est simple. Elle éclaire d’ailleurs la naïveté singulière de la malheureuse. Et cette naïveté conduit au mobile. Un mobile pour le moins étonnant. (A suivre…)
Pierre Bellemare
21 juin 2011
Histoire