Histoires vraies
Un intellectuel mince et tranquille (2e partie)
Résumé de la 1re partie : Henry Adolphe Busch attaque la femme qui est avec lui en voiture…
«Qu’est-ce qu’ils font, ces deux-là ?» dit le livreur en donnant un coup de coude à son compagnon.
Le conducteur se penche :
«Ils se battent !»
Avec un bel ensemble, le livreur en salopette et le conducteur, en bras de chemise, manches retroussées, ouvrent chacun leur portière pour sauter sur la chaussée. Le feu est passé au vert et derrière eux les voitures klaxonnent.
Henry Adolphe Busch, qui a remarqué leur mouvement, court déjà sur le trottoir. Le chauffeur arrive juste à temps pour recevoir dans ses bras la femme qui s’évanouit. Le livreur prend en chasse le fuyard. Il saute pour ne pas trébucher sur le sac à main que celui-ci lui jette dans les jambes. Finalement, parvenant à l’attraper par son blouson, il le renverse sur le sol, face contre terre et l’immobilise par une clef au bras. Quelques minutes plus tard voici donc Adolphe Busch, debout sur le bord du trottoir les menottes aux mains et entre deux policiers. Un autre policier interroge la femme qui reprend ses esprits, un autre enfin revient vers eux, ramenant le sac à main abandonné sur le macadam.
L’affaire est des plus banales. Le bonhomme qu’ils vont emmener au commissariat est un voleur de sac à main, un détrousseur de femmes comme il n’en manque pas à Hollywood. Et ils savent qu’il n’a pas eu à déployer beaucoup d’éloquence pour décider la femme à monter dans sa voiture : c’est une prostituée. Cela fait partie de son métier, et son métier comporte des risques.
L’agent qui ramène le sac à main l’a ouvert pour y jeter un coup d’œil et le rend à la femme d’un geste désabusé :
«Regarde s’il ne manque rien…»
La femme retourne le sac sur la banquette de la voiture, compte les quelques dollars qui en tombent :
«Non. Il ne manque rien.
— C’est tout ce que tu avais comme argent ?
— Oui, c’est tout, j’ai rien fait cette nuit.»
Le jeune sergent se tourne vers Henry Adolphe Busch :
«C’était bien la peine, mon vieux ! Se battre avec une femme pour six dollars ! Allez, monte !»
Et il le pousse dans la voiture qui démarre toutes sirènes hurlantes. Dans la voiture, les policiers sont silencieux. C’est tout juste si l’un d’eux jette de temps en temps un regard méprisant sur Henry Adolphe Busch. Le sergent écoute la radio car ils peuvent à tout instant être appelés pour une autre intervention. Leur prisonnier n’est guère encombrant. Il est tassé sur sa banquette. Dans son blouson fripé, regardant droit devant lui, l’œil perdu. Ce voleur de sacs, malgré son air d’intellectuel, est bien le plus menu fretin qui se puisse voir. Or, soudain, il marmonne à voix basse :
«Mmumuin… Mrnurnuin…»
Le sergent se retourne :
«Qu’est-ce que tu dis ?
— Je dis que je ne voulais pas la voler. Je voulais simplement la tuer.
— Ah ! vraiment ?»
Et le sergent, goguenard, se détourne.
«Parfaitement !» insiste Busch.
Le sergent hausse les épaules. Mais l’autre continue :
«D’ailleurs, j’ai déjà tué d’autres femmes.
— Tiens… Monsieur veut du galon !» ricane le conducteur.
Un autre policier surenchérit :
«Monsieur se sent minable ? Trop minable d’avoir battu une femme pour six dollars ! Alors, Monsieur préférerait être un grand assassin, c’est ça ? (A suivre…)
Pierre Bellemare
21 juin 2011
Histoire