Nous étions un petit convoi de 2CV revenant de Djanet. Avec Marie Jo, nous avions
tant et tant parlé de notre amour du Sahara que nous n’avions pas pu refuser de
partager une nouvelle aventure avec quelques proches. Comme dans nos expériences
précédentes, nous avions choisi la sobriété : pas de 4×4, pas d’hôtels…mais la joie du partage etdes rencontres, la contemplation du désert et desvoûtes lumineuses nocturnes aux bivouacs… et la réalité des nombreux ensablements, des pneuspercés, des pannes parfois plus délicates quifaisaient douter de l’utilité de nos voitures se laissant pousser aussi souvent qu’elles nous portaient. Après plus d’une dizaine de jours, l’argile rouge des sables avaitparachevé notre métamorphose : nous étions devenus de vrais sahariens. C’est aveccette assurance de nomades aguerris que nous nous engagions sur l’itinéraire de retour.
En un jour et demi, nous venions de parcourir les premiers 130 kilomètres de notre
retour ; les plus calmes, pensions-nous, avant les 350 kilomètres éprouvants du
Fadnoun. Nous arrivions en vue de bordj El Houes qui, en 1974, se laissait encore
appeler Fort Gardel. Ce n’était pas la petite ville qui l’a remplacé depuis, mais bien ce
sobre rappel de l’autorité, très isolé au carrefour de pistes caravanières. Il était évident
que nous allions y faire une halte. D’ailleurs, nous pouvions déjà apercevoir la présence
d’une caravane au repos, et savourions la perspective d’échanges coutumiers de thé
saharien, de dattes sèches, et de nos cigarettes si prisées dans ces régions.
Et c’est là qu’une panne très grave était arrivée. L’une des 2CV avait cassé l’un de ses
bras avant et était plantée au bord de la piste. Il était hors de question de pouvoir la
dépanner sans trouver un bras de rechange. Nous ne pouvions pas non plus nous
résoudre à l’abandonner. La seule issue était de retourner à Djanetpour retrouver Lamine que nousvenions de quitter et de lui demander de nous aider àmarchander un bras avant gauchechez un des dépouilleurs d’épaves de l’oasis. Par une sorte de miracle,un convoi de 4 Land Rover neuves se rendait à Djanet. Le chef de convoi a acceptéd’embarquer deux d’entre nous.
Rien ne se déroulant jamais comme prévu, notre trajet vers Djanet a été une aventure
dans l’aventure puisque l’une des Land Rover, conduite par un chauffeur inexpérimenté,
a fait plusieurs tonneaux qui ont crevé son circuit de refroidissement ; pire encore, cette
voiture avait déjà pris en stop un forgeron-coutelier avec sa cargaison de faucilles et de
lames diverses d’un affûtage raffiné. Le sparadrap des trousses d’urgence et l’intégralité
des liquides dont nous disposions ont été consommés pour réparer péniblement véhicule
et passagers et arriver piteusement à Djanet. Comme la montagne, comme la mer, le
désert rappelle ainsi qu’il éprouve ceux qui se vantent trop vite de bénéficier de ses
faveurs.
Lamine s’est empressé de nous trouver un « fournisseur ». Sans être tout à fait du même
modèle, le bras qu’il nous proposait nous paraissait pouvoir être adapté à la réparation
nécessaire. Le soir arrivait et Lamine nous a proposé de dîner chez lui avant de nous
raccompagner à Fort Gardel. Nous devinions qu’il savourait la possibilité de nous
démontrer ses qualités de chauffeur du désert, capable de faire en deux heures de nuit le parcours de nos deux jours laborieux. Raison de plus pour prendre son temps avant le
départ, le temps de préparation d’un couscous qu’il comptait partager avec deux autres
membres de sa famille.
Alors que la nuit venait de tomber, nous nous sommes réunis autour du plat de
couscous. Nous venions tout juste de prononcer le « bismilla arahmane arahim » lorsqu’un
homme est rentré et, sans un mot, s’est assis dans notre cercle. Il a partagé notre repas
puis s’est levé et est parti sans plus de façon.
Je trouvais cette attitude étrange. Dès que nous nous sommes retrouvés seuls, je
demandais à Lamine
- « Qui était cet homme ? Le connais-tu ?
- Non
- Alors, il entre comme ça chez toi et s’installe à table ?
- C’est un voyageur ; les voisins ont du lui dire que j’avais des invités et qu’il
trouverait chez moi de quoi manger
- D’accord, mais il aurait pu au moins te remercier
- Ce n’est pas moi qu’il doit remercier, mais Dieu, pour l’avoir conduit vers moi ;
et moi aussi, je dois remercier Dieu de m’avoir fait cet honneur. »
Lorsque nous disons autour de nous que le Maghreb et plus encore le désert nous ont
convaincus des progrès à faire pour pratiquer une véritable hospitalité, nous pouvons
passer des heures à raconter des souvenirs aussi édifiants. Nos auditeurs s’en lassent
peut-être, mais certainement pas nous.
Michel Laxenaire
20 juin 2011
Non classé