Les pages qui suivent sont extraites d’un roman de Brahim Zerouki, Bleu
permanent.
En écho au récit du narrateur , lequel est prisonnier de l’armée française
pendant la guerre d’indépendance, cette oeuvre romanesque met en scène une
mémoire amazigh du VIII ème siècle.
Cette mémoire berbère qui resurgit du
haut Moyen Age véhicule un humanisme ancien. Elle relate une histoire d’amour
dans la cité de Tagdemt, la Djazira, mère de toutes les Djazaïrs du Maghreb,
cité démocratique sans portes, conduite par des savants et des hommes de Dieu
et dont la renommée, nous dit l’auteur, s’étendait au Machrek. Au détour de
l’intrigue, la pratique de l’hospitalité berbère s’exprime en particulier à travers
les pages 169 à 172 ici reproduites : du pain rompu et partagé avec les hôtes de
l’imam; des trois jours pendant lesquels les étrangers seront ses hôtes, »trois
jours que vous me devez » rappelle l’imam »
Ce même jour, trois étrangers se présentent devant la porte de l’imam. Asen est occupé
à pétrir de la terre qu’il porte ensuite sur la terrasse que l’imam restaure régulièrement
après les moissons. L’un des nouveaux venus s’adresse à Asen pour lui dire qu’ils
veulent voir l’imam. Sachant que ce dernier les entend, Asen ne répond pas.
« Demande-leur de patienter », fait l’imam. Il descend et va, sous le regard étonné des
hommes, se laver pour se débarrasser des traces de terre qu’il porte. Ce n’est qu’à ce
moment que Asen remarque l’absence de cognassier dans la cour intérieure. Il y a un
figuier. « Tout s’explique ! Le figuier c’est les Berbères. Un signe que l’imam venu de
Perse, les aime. Le cognassier c’est la Perse. Un signe que les Amazigh aiment
l’imam ». Ce dernier fait ses ablutions puis la prière. Au terme de celle-ci, il s’assoit sur
la natte, fait signe à ses hôtes de prendre place en face de lui et regarde Asen qui
comprend. L’adolescent part chercher de quoi restaurer les hommes. L’épouse de
l’imam brise une miche de pain en plusieurs morceaux qu’elle dispose dans un plat en
bois. Elle le remet à Asen ainsi qu’un pot de beurre rance. Sous les yeux des hommes,
Asen verse le contenu du pot sur les bris de la miche. L’imam se sert pour donner
l’exemple. Les hôtes se restaurent en silence. Le repas terminé, l’imam leur adresse
enfin la parole en leur souhaitant la bienvenue puis leur demande l’objet de leur visite.
Ils se regardent à nouveau. Enfin l’un d’eux dit: « Permets-nous de nous retirer. Nous
voudrions nous concerter ». « Faites, » leur dit-il.
Ils se lèvent et repartent dans la direction d’où ils étaient venus.
L’épouse de l’imam a juste le temps de ramasser le plat et de remettre la natte au sol que
déjà les voyageurs sont de retour mais cette fois suivis de trois chameaux lourdement
chargés.
- Nous venons de la Bassorah d’Irak, lui dit l’un d’eux. Nous avons là trois charges qui
représentent l’impôt légal de nos Djazaïr. Nos frères te les destinent car nous te
reconnaissons comme notre seul imam. Notre espoir est que tout le Machrek se
constitue en Djazaïr à l’exemple du Maghreb.
- Hassen, fait l’imam, rends-toi auprès de notre cadi et dis-lui de réunir notre conseil.
Asen fait un signe de tête et se retire avec déférence. Les hommes l’entendent dévaler le
chemin à très vive allure.
-Avez-vous rencontré des obstacles sur votre route ? demande l’imam.
- Jusqu’ à l’occident du Nil, nous avons organisé notre sécurité avec les Djazaïr qui te
reconnaissent comme leur seul imam. Au-delà du Nil vers l’Ouest, toutes les Djazaïr
que nous avons traversées, nous ont apporté assistance et réconfort.
Le cadi arrive le premier, bientôt suivi des cinq autres membres du Conseil. « Veuillez
formuler votre message à notre Conseil », fait l’imam à l’adresse des voyageurs. Ces
derniers s’expriment puis l’imam demande leur avis aux membres du conseil qui
échangent brièvement en aparté avant que l’un d’eux ne glisse quelques mots à l’oreille
de l’imam. Alors, ce dernier remercie longuement les nouveaux venus puis décline
l’offre en demandant aux hôtes de redistribuer eux-mêmes l’impôt en question dans leur
djazira d’origine. Ces derniers visiblement très impressionnés, tentent d’insister en se
retranchant derrière la volonté des djazaïr d’Orient mais l’imam redoublant de
diplomatie demeure sur sa position. Après quelques mots qui détendent toute
l’assistance, il ajoute, « vous resterez ici au moins les trois jours que vous me devez ».
Un long échange d’informations s’engage. Asen qui a suivi la conversation rentre chez
lui. « J’ai trois jours » se dit-il.
Bleu permanent
Brahim Zerouki
L’Harmattan, Écritures Berbères
1999
20 juin 2011
1.Extraits