Edition du Lundi 15 Février 2010
Chronique
Saint-Valentin et nous : la fête pour… oublier
Par : Mustapha Hammouche
La Saint-Valentin se célèbre, paraît-il, dans mon pays. Dans les cercles d’initiés, où l’on importe les prétextes et les accessoires de la fête, on se le dit dans la confidence des réunions amicales. On glisse le thème de la Saint-Valentin à tous propos. Plus discrètement que l’on aurait évoqué Noël. Ou le Nouvel An que l’on s’est franchement approprié.
Dedans, il est question de fleurs et de cadeaux à sa femme ; dehors, le consensus “culturel” pose sa chape de plomb qui écrase de tout son poids la femme.
Elles étaient deux à nous le rappeler, avant-hier. Deux, émues comme aux premiers jours, à raconter, à Paris ce qu’elles n’auraient pu raconter à Alger : le calvaire éprouvé par une cinquantaine de femmes dans la nuit du 13 au 14 juillet 2001.
Mais qui se souvient d’El-Haïcha, “La Bête”, ce quartier de la honte à Hassi-Messaoud ? On aurait tout oublié si Nadia Kaci n’avait pas eu l’idée de les faire parler en public, mais d’abord dans un livre qui nous rappellera encore longtemps nos lâchetés d’hommes.
“Mémoire contre paix”, telle est la devise d’une époque dite de “réconciliation nationale”. Vraie amnésie contre virtuelle paix. Le mutisme obligeant des témoins soutient le silence imposé aux victimes. À l’heure où le pouvoir médiatise la prise en charge des pensions de retraite des terroristes, l’histoire des milliers de femmes enlevées et violées est néantisée. À notre soulagement !
Au soulagement des hommes qui ont sauvé leur peau, pendant qu’on égorgeait l’épouse ou qu’on enlevait la fille. Il se pourrait même que parmi ces déserteurs de l’amour, certains babillaient hier de Saint-Valentin.
Quand un quidam passe tous les 30 janvier pour déposer une fleur, à l’entrée du commissariat central d’Alger, à la mémoire d’une vie d’étudiante stoppée net par un kamikaze, il doit plus interloquer qu’interpeller. Dans mon pays, les occasions sont faites pour oublier. Le bouquet de la Saint-Valentin, même discrètement mitonné dans du papier journal, oui ; la rose de la mémoire, non.
Faites l’amour, non la guerre ? Il faudrait avoir le choix. Alors, faites semblant d’être heureux pour ne pas avoir à assumer la guerre. Une guerre qui est d’abord une guerre à la femme.
La haine cultivée la harcèle sur son lieu de travail quand elle en a, la maudit à travers les haut-parleurs des mosquées, la pourchasse dans les lieux publics et la lâcheté la prive de tout recours. L’amour désincarné qu’évoque la Saint-Valentin auprès de la communauté des initiés aux fêtes “modernes” ne peut rien contre l’impuissance de l’homme devant la haine de son “frère”. La guerre à la femme, longtemps froide, se poursuit, déclarée, depuis deux décennies, dans une ambiance de Munich masculin permanent.
La Saint-Valentin, malgré ses éventuels adeptes, est renvoyée par les faits à sa réalité de gadget pour “branchés”.
Cela dit, bonne fête les amoureux !
M. H.
musthammouche@yahoo.fr
17 juin 2011
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