Edition du Jeudi 09 Juin 2011
Chronique
Les dictateurs sont de mauvais élèves
Par : Mustapha Hammouche
Comme pour Kadhafi, cela commence par un projet de résolution condamnant la répression qu’il inflige à son peuple en révolte. Le compte à rebours est donc lancé pour Bachar Al-Assad.
Visiblement, Kadhafi, Al-Assad, Saleh et les autres dictateurs arabes encore en place ont médité la fin de Ben Ali et de Moubarak. Mais, si l’on en juge par la réaction de ces trois premiers, ils n’ont pas tiré la bonne leçon de l’épilogue des émeutes de Tunisie et d’Égypte.
Au lieu de se retirer suffisamment à temps pour économiser du patrimoine de leur pays et sauver des vies de concitoyens, ils ont pris le parti de s’accrocher à leur pouvoir quoi qu’il en coûte à leur nation.
En Libye, au Yémen et en Syrie, les dégâts sont immenses. Après avoir invariablement tenté la manœuvre des “réformes”, et devant la persévérance de la volonté populaire de changement, les trois chefs d’État ont, chacun à son tour, redoublé de brutalité dans la répression des soulèvements et ont, ainsi, successivement enfourché un processus morbide qui rend leur chute encore plus inéluctable.
Les esprits tourmentés par la perspective du changement pourront, à chaque fois, s’effaroucher de “l’ingérence” de l’Otan. Mais, malheureusement, en l’état actuel du monde arabe, il n’y a que deux forces qui peuvent déloger nos autocrates : l’armée locale, quand elle prend le parti de la volonté populaire, ou la force étrangère, quand elle est mandatée par la volonté de la communauté internationale. Sinon, le peuple, même en se sacrifiant par milliers, comme on le fait en Syrie, même en souffrant une mobilisation ininterrompue, comme c’est le cas au Yémen, et même en affrontant l’engagement total d’une armée, comme en Libye, se heurte toujours à l’obstination caractéristique d’une génération de despotes qui, comme dans la version pyromane de Néron, préfèrent voir leur Rome brûler que de voir leur autorité contestée.
Cette duplicité dans le rapport à la légalité internationale est illustrée par la position en dents de scie que les dirigeants algériens entretiennent vis-à-vis de la question libyenne : quand on veut se conformer à la volonté de la communauté internationale, on invoque, par la voix du ministère des Affaires étrangères, les résolutions du Conseil de sécurité ; quand on veut se mettre à contre-courant du mouvement actuel, on crie, par la voix de Belkhadem entre autres, à l’ingérence de l’Otan.
Malgré l’évidence du caractère historique du mouvement en cours dans la région, aucun chef d’État n’a choisi la voie de l’évolution dans l’élégance, aucun régime n’a opté pour une transition concertée avec la société. Même lorsqu’ils anticipent, c’est pour mieux manœuvrer, comme il se fait au Maroc et en Algérie. À la demande de changement de leurs citoyens, les pouvoirs y opposent “leurs” réformes. Le contexte du monde arabe, pour relativement disparate qu’il est, est marqué par une double caractéristique : des régimes autoritaires et héréditaires subis par des peuples trop longtemps étouffés, avilis. Les mêmes causes produisant les mêmes effets : partout une volonté farouche de s’extraire du joug contraignant rencontre la même farouche volonté de se cramponner à un pouvoir qu’on n’a jamais conçu comme temporaire.
La nature des régimes impose ce coût sanglant du changement, un coût qu’aucun de ces régimes ne semble vouloir épargner à son peuple.
M. H.
musthammouche@yahoo.fr
17 juin 2011
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