Edition du Dimanche 05 Juin 2011
Des gens et des faits
Rien que des chimères
La nouvelle de Adila Katia
1re partie
Pour la première fois depuis des années, Sorreya pleure comme une enfant. Jamais elle n’aurait cru que cela lui arriverait un jour, d’être humiliée par un homme. Mais c’était de sa faute à elle. Elle n’aurait pas dû aller au rendez-vous !
- Sorri ! l’appelle sa belle-sœur Nora depuis le salon. Le café est prêt.
Mais Sorreya voudrait autre chose qu’un café. Si c’était possible, une drogue qui pourrait effacer de son cœur ces trois heures de cet après-midi où elle avait mis de côté son amour-propre, uniquement pour corriger un oubli du destin.
- Sorri !
La jeune fille quitte son lit et va fermer à clé la porte de sa chambre. Elle ne veut pas que sa jeune belle-sœur entre et la trouve en larmes. Cela allait la surprendre et elle en parlerait à Tewfik. Dès qu’ils sentiront que quelque chose leur échappait, ils allaient la harceler de questions et ne la laisseraient en paix qu’une fois le secret arraché. Et Sorreya ne veut pas qu’on sache.
Personne ne devait savoir qu’aujourd’hui, son amie et collègue Lila lui avait arrangé un rendez-vous avec un vieil ami qui voudrait se marier. Cet homme avait presque cinquante ans et avait récemment perdu sa femme. Étant stérile, elle ne lui avait laissé aucun enfant.
Quand Lila lui avait parlé de lui, elle avait cru à quelqu’un d’ouvert, avec qui il serait facile de faire un bout de chemin.
Et elle s’était trompée !
Si elle avait accepté de rencontrer un inconnu, plus âgé qu’elle, c’était pour mettre un terme à son célibat. Elle avait trente-cinq ans et n’avait pas encore eu la chance de fonder un foyer comme les autres filles ou femmes de son âge.
Sorreya n’avait rien de repoussant. Elle avait son propre charme, grande, mince, de peau claire et des cheveux châtains.
Son visage était illuminé par ses grands yeux marron. Heureuse et comblée par la vie, peut-être qu’elle aurait été plus belle ?
Sorreya ne comprenait pas son manque de chance. Son comportement a toujours été irréprochable. Il est impensable que les garçons qui l’ont fuie, après qu’ils se soient intéressés à elle, fussent échaudés par son comportement. Est-ce une question de chance ?
Elle l’ignore. En tout cas, elle n’a rien d’une pestiférée.
- Si seulement quelqu’un pouvait m’aider.
L’unique qui aurait pu était sa mère. Mais elle n’est plus de ce monde. Elle l’avait quittée, il y a vingt ans en lui laissant Tewfik, son seul frère.
Sorreya en avait pris soin comme la prunelle de ses yeux. Leur père s’était remarié et avait donné tous les pouvoirs à sa seconde épouse. Sorreya en avait vu de toutes les couleurs mais tenu le coup, protégeant son frère du mieux qu’elle a pu des coups de leur marâtre.
Les années ont passé, marquées par de rares heures heureuses où Sorreya et Tewfik se voyaient réussir dans leurs études. Sorreya a préféré ne pas aller à l’université mais d’effectuer un stage en comptabilité pour vite se trouver du travail. Tewfik de son côté, a passé son bac alors qu’il n’avait que seize ans. Il choisit d’étudier les lettres françaises afin d’être enseignant uniquement pour ne plus dépendre de leur père et ne plus être un fardeau pour elle.
Une fois le diplôme obtenu, Sorreya avait déniché un poste dans une banque et n’avait pas eu à se battre pour imposer l’idée de travailler.
Elle avait conclu un marché en échange de la paix avec sa marâtre. Elle devait lui remettre un tiers de son salaire à chaque virement. Sorreya le préférait à l’esclavage de la maison.
Au fil des années, en donnant le meilleur d’elle-même dans son travail, elle a pu bénéficier d’un logement. Ce, dix ans, après avoir formulé sa demande. L’obtention du logement est tombée au bon moment. Tewfik a terminé ses études et s’est trouvé un poste d’enseignant, dans le collège du quartier-même où on lui a attribué un logement.
Dès qu’elle a mis au courant Tewfik, il a refusé de rater une occasion pareille. Il voulait autant qu’elle quitte le toit paternel, pour échapper aux projets de leur marâtre qui voulait aussi qu’ils soient à sa merci, comme l’était leur père.
Bien avant d’aller s’installer dans le logement, ils avaient discuté avec leur père. Ce dernier s’était fâché et les avait avertis que s’ils partaient, ils n’auraient plus le droit de revenir, ne serait-ce que pour une visite de courtoisie !
Tewfik et Sorreya avaient choisi de partir. Puisque l’occasion de fuir l’enfer s’est présentée, autant ne pas la rater.
Quelques semaines après leur installation, il y eut tellement d’événements que Sorreya avait l’impression de ne pas être chez elle mais chez son frère.
Et c’est la raison principale qui l’avait poussé à accepter de voir cet inconnu. Au risque de s’humilier, au risque de paraître moins que rien.
(À suivre)
A. K.
17 juin 2011
1.Extraits