Edition du Jeudi 05 Mai 2011
Editorial
Vrais-faux repères
Par : Saïd Chekri
Certains poursuivent l’œuvre de falsification et entretiennent l’image idyllique d’une révolution modèle, seul moyen pour eux de leurrer le monde sur leurs propres méfaits.
Depuis la fin des années de plomb, l’opinion algérienne a souvent assisté à des querelles sans fin sur des sujets, questions ou faits se rapportant à notre histoire récente. En la matière, c’est, assurément, à la période de la guerre de Libération nationale que revient la part du lion. On se souvient de l’onde de choc et des réactions d’indignation soulevées, en 2000, par le “témoignage” de Ali Kafi sur le rôle de Abane Ramdane durant la Révolution et les “raisons” ayant amené à son exécution. L’on se rappelle aussi l’énorme polémique suscitée par le livre de Saïd Sadi sur Amirouche, son parcours et, surtout, les circonstances de sa mort. Une polémique qui risque d’ailleurs de reprendre de plus belle, la publication de la version arabe du livre étant imminente. Et, depuis quelques jours, un autre échange, houleux et déjà riche en rebondissements, s’engage entre deux figures de la guerre de Libération nationale, Yacef Saâdi, d’un côté, et Louisette Ighilahriz, de l’autre.Sans vouloir en rajouter une couche, on ne peut que relever, d’emblée, le caractère pour le moins mystérieux de cette sortie de l’ancien chef de la Zone autonome d’Alger, et néanmoins sénateur du tiers présidentiel, remettant en cause la participation de Mme Ighilahriz à la guerre de Libération. Pourquoi Yacef Saâdi a-t-il attendu aussi longtemps pour intervenir et “corriger” les témoignages de cette femme, elle qui a écrit et parlé, aussi bien à Alger qu’à Paris, quelquefois devant un tribunal, sans avoir jamais trouvé d’autres contradicteurs que ces anciens officiers de l’armée française qu’elle accusait de tortures ?
Une chose est sûre : c’est d’avoir systématiquement défiguré notre histoire pour en faire une suite de “pages parfaitement glorieuses”, exemptes de toute forfaiture car faite par des “patriotes absolument irréprochables”, que nous en sommes aujourd’hui encore à chercher des vérités. Pendant ce temps, certains poursuivent l’œuvre de falsification et entretiennent l’image idyllique d’une révolution modèle, seul moyen pour eux de leurrer le monde sur leurs propres méfaits. Ils se placent ainsi indûment en repères pour les générations montantes, et c’est bien de là que vient le grand danger : les vrais repères s’effacent, pendant que d’autres, fabriqués de toutes pièces, prennent “des allures d’astres scintillants”.*
S. C.
* Matoub Lounès dans Regard sur l’histoire d’un pays damné
16 juin 2011
Contributions