Edition du Samedi 07 Mai 2011
Culture
MON ROYAUME POUR TLEMCEN (3/3)
La chronique de Abdelhakim Meziani
Abou Ziane m’apprit que son frère Abou Hammou Moussa avait beaucoup de qualités. Il lui rappelait énormément Yaghmoracène par son esprit vif et tranchant. Son caractère aussi ferme qu’imposant avait une teinte d’âpreté que son humeur violente ne faisait qu’augmenter.
Ibn Khaldoun écrivait à son sujet qu’il était pétri d’intelligence. De tous les princes zianides, ce fut lui qui, le premier, introduisit le cérémonial et l’étiquette de la royauté. Dans l’accomplissement de cette tâche, il usa d’une extrême sévérité envers les grands de son empire, leur opposant hardiment les boucliers de sa puissance ; il les courba devant la majesté royale et les façonna aux usages qu’il voulait introduire.
“- Mon frère Abou Hammou Moussa n’avait cependant pas su se comporter avec son fils et héritier présomptif Abou Tachefin Abderrahmane. De tous les membres de la famille royale, Abou Serhane Massoud Ibn Berhoum fut celui qui jouissait au plus haut degré de sa faveur. Cousin du prince, mon cousin aussi, il en était aimé comme un fils, à cause de son intelligence et de sa bravoure, et parce que son père, Abou Amer Berhoum, était, de tous les enfants de Yaghmoranène, le seul frère germain d’Othmane, notre père. Abou Hammou lui portait une telle affection, qu’il le préférait à ses propres enfants, et l’avait même pris pour conseiller et ami intime.” Jusque-là très à l’aise, l’homme qui ressemblait étrangement à mon père donnait des signes de contrariété. J’avais même l’impression que cet interlocuteur sans âge — l’histoire en a-telle ? — devenait subitement vieux. Ses membres tremblaient et les sons de sa voix me parvenaient à peine, avant de céder la place à un silence déconcertant, mortel. Je compris à l’instant que les inimitiés engendrées par son frère Abou Hammou allaient être fatales à la dynastie. Il me somma d’éteindre le moteur de la voiture. Après avoir stoïquement réprimé ses larmes — en a-t-il réellement ? — il se tourna vers moi, ce qui me permit de constater que ses yeux avaient la même couleur que ceux de mon père. Le sourire énigmatique et chaleureux qu’il arborait tout au début de notre mystérieuse rencontre céda soudain la place à un visage très grave, impassible et d’un autre âge. Je fus subitement saisi de frissons glacés. Pendant qu’aucun son ne sortit de sa bouche, je compris que la réponse tant espérée à un tel silence, rendu toutefois éloquent par un regard des plus expressifs, était enfouie en moi, dans ma mémoire, dans mes réminiscences andalouses. Le règne d’Abou Tachefin coïncida, en effet, avec les prémices de la décadence de la dynastie des Zianides. Assassiné par son fils, Abou Hammou fut enterré dans le cimetière familial El-Casr El-Cadim où reposait Yaghmoracène. Nouvel homme fort de la dynastie. Abou Tachefin, désormais sultan, commença l’exercice de son pouvoir par la déportation en Espagne de tous les descendants de Yaghmoracène et de presque tous les autres membres de la famille qui se trouvaient à Tlemcen. Par ce coup d’État, il espérait neutraliser l’influence qu’ils tiraient de leur naissance et prévenir les troubles qu’ils pourraient exciter dans l’empire.
“– C’est ainsi, mon fils, que tes ancêtres s’étaient retrouvés en Andalousie où ils refondèrent la ville de Cadix qui porta, sous leur règne, le nom des Banou Meziani.”
Toutefois, Abou Tachfin se garda de remettre en cause le programme de réalisations initié par son père. Aussi parvint-il à terminer et même à surpasser les plans qu’Abou Hammou Moussa avait adoptés pour l’embellissement de la capitale. Selon Ibn Khaldoun, les palais et les autres édifices de cette époque se faisaient admirer pour leur beauté. Parmi ces réalisations, il y a lieu de citer Sahridj, ou le Grand Bassin, une somptueuse création datant de 1318.
“— Tlemcen n’a pas oublié, mon fils, que l’affaiblissement de la dynastie a favorisé le second siège mérinide, malgré quelques succès à l’extérieur de la ville d’Abou Tachefin, crus-je entendre. Le second siège de Tlemcen, dirigé par le sultan Abou El-Hacène, avait failli être fatal. L’Empire fondé par Yaghmoracène Ibn Ziane aurait pu succomber dans des conditions dramatiques, n’était la détermination zianide impulsée, notamment, par Abou Hammou Moussa II qui allait ruiner les espoirs mérinides (1359). En effet, le fastueux prince-poète à la culture toute andalouse allait s’illustrer à nouveau et faire briller d’un éclat particulier la dynastie restaurée par ses soins.”
A. M.
zianide@djaweb.dz
16 juin 2011
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