Edition du Samedi 07 Mai 2011
Contribution
L’hommage de Lakhdar Brahimi
Rosihan Anwar, un ami indonésien de l’Algérie disparaît à l’âge de 89 ans
Par : Lakhdar Brahimi
Rosihan Anwar, journaliste indonésien, s’est éteint le 14 avril à l’âge de 87 ans, entouré de ses trois enfants, six petits-enfants et deux arrière-petits-enfants. Il fut enterré le même jour au cimetière des Héros de Jakarta. Le président de la République indonésienne, Susilo Bambang Yudhuyono, et son épouse furent parmi les premiers à venir s’incliner devant la dépouille du défunt et présenter leurs condoléances à sa famille.
J’ai rencontré Rosihan pour la première fois en octobre 1956. Il était alors rédacteur en chef de Pedoman, l’un des principaux quotidiens indonésiens de l’époque. C’était Hamid Algadrie, secrétaire général du Comité indonésien pour le soutien à la lutte du peuple algérien, qui m’avait arrangé ce rendez-vous : j’allais voir Rosihan pour lui parler de l’acte de piratage aérien dont la France s’était rendu coupable le 22 octobre pour se saisir de 5 dirigeants du FLN : Ahmed Ben Bella, Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider, Hocine AÏt Ahmed et Mostefa Lacheraf. Rosihan avait milité pour l’indépendance de son propre pays. Comme la plupart de ses compatriotes, il comprenait parfaitement le sens de notre lutte. Son soutien ne nous a jamais fait défaut. J’étais alors le représentant du FLN en Indonésie. Après la condamnation de Djamila Bouhired à mort, en 1957, une vaste campagne internationale fut déclenchée pour exiger qu’elle ne fût pas exécutée. De puissantes manifestations populaires ont eu lieu dans de très nombreuses capitales, de Kabul à Buenos Aires. Ce furent les étudiants qui, à Jakarta et dans plusieurs villes du pays, ont pris la tête de ces manifestations en Indonésie.
Rosihan participa à cette campagne à sa manière : il écrivit une longue série d’articles — une bonne douzaine au moins — qui, autour de l’affaire de Djamila, donna une image détaillée et vivante de l’ensemble de la question algérienne et de la lutte de notre pays pour son indépendance, de la répression qui s’abattait sur nos compatriotes. Je rencontrais Rosihan chaque après-midi pour répondre à ses questions et compléter son information. Ces articles ont suscité un intérêt immense. La Radio indonésienne en parlait régulièrement et plusieurs publications les ont repris ou s’en étaient inspiré. Rosihan rassembla ces articles dans un petit livre qu’il intitula : Jamila, Srikandi Aljazair” Srikandi veut dire héroïne.
Souvenons-nous qu’à l’époque, il n’y avait pas de télévision en Asie et que les seules sources d’information étaient la presse écrite et la radio. Rosihan continua à suivre de près les péripéties de la lutte algérienne jusqu’à l’Indépendance. Il fut mon premier contact parmi les journalistes indonésiens. J’avais naturellement des contacts fructueux avec les autres responsables des médias en Indonésie et ailleurs dans l’Asie du Sud-Est. Mais personne d’entre eux ne s’était montré aussi attentif à l’évolution de la situation dans notre pays.
Aussi ai-je gardé le contact avec lui sans interruption. Nous nous sommes revus chaque fois que je me suis rendu en Indonésie et, de temps à autre, quand il s’est rendu lui-même en Europe ou au Moyen Orient.
L’ONU ayant décidé de lancer une “Journée internationale Nelson Mandela” devant être célébrée chaque année à travers le monde entier à l’occasion de l’anniversaire du grand leader sud-africain (le 17 juillet), Rosihan avait, à ma suggestion, écrit plusieurs excellents articles dans la presse indonésienne l’année dernière. Nous avions dîné ensemble chez des amis communs à Jakarta peu de temps après. Sa femme, Ida, était bien fatiguée, mais elle était venue à ce dîner quand même. Elle s’est éteinte il y a 6 mois. Rosihan fut admis lui-même à l’hôpital à la mi-mars pour une opération à cœur ouvert. Sa famille m’avait rassuré et je me faisais une joie de le revoir en juillet prochain à Jakarta et, une fois de plus, célébrer avec lui la Journée Nelson Mandela. Surtout, je me promettais de suggérer au président Bouteflika de mettre Rosihan Anwar sur la liste des personnalités amies de l’Algérie à inviter pour la cinquantenaire de l’Indépendance, l’année prochaine. Mais le destin en a décidé autrement.
Au lendemain de son décès, l’Indonésie a salué la vie et l’œuvre de cet homme dont l’intégrité, la dignité et le professionnalisme furent exemplaires. Il a été un journaliste, rien qu’un journaliste, toute sa vie. Il avait une haute idée de sa profession et il en a donné, et il en laisse, une très haute image. À deux reprises au moins, on lui proposa un poste d’ambassadeur. Il a refusé poliment. Aussi bien Rosihan que son épouse ont préféré rester à Jakarta. L’Algérie et tout le Maghreb (car Rosihan avait aussi beaucoup écrit au sujet de la Tunisie et du Maroc) perdent un ami, un vrai, qui a soutenu des causes justes sans rien attendre de personne, sans rien demander à personne.
Il fut pour moi, un ami, un vrai. Que Dieu ait son âme et que ses enfants et petits-enfants trouvent ici l’expression renouvelée — et publique, cette fois — de mes condoléances profondément attristées, de mon affection et de mon indéfectible attachement.
16 juin 2011
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