Edition du Dimanche 15 Mai 2011
Courrier des lecteurs
Les retraités
Par : B. Kaddour
Alors que l’Algérie connaît une effervescence revendicative dans divers secteurs d’activité et que les pouvoirs publics, avec plus ou moins de réticence ou de célérité, selon les cas, accèdent de manière sans précédent aux revendications, notamment salariales des uns et des autres, quand ils n’anticipent pas à accorder, avec effet rétroactif, des augmentations sans précédent, inespérées par les bénéficiaires eux-mêmes, mais les retraités, qui pense à eux ?
Eux qui, pour la plupart, au lendemain de l’indépendance du pays, après le départ massif des Européens d’Algérie ont assuré la relève et fait face vaillamment à de multiples défis de reconstructions du pays, dans la liberté et la dignité retrouvées, souvent très peu ou pas du tout de moyens, et ont réussi à faire des miracles dans tous les secteurs.
Ceux de ces bâtisseurs anonymes, encore en vie, militants désintéressés de l’Algérie indépendante, végètent aujourd’hui avec des pensions misérables, revalorisées, certes, périodiquement, mais sans même couvrir le taux d’inflation officiel. Leurs pensions ? Des miettes qui leur permettent à peine de suivre ! Le retraité est appelé moutakaad en arabe, que certains tournent pertinemment en moutakaad (littéralement : meurs assis). Réflexion on ne peut plus révélatrice de situations dramatiques. La dernière semaine du mois, à chaque virement de leurs maigres pensions attendues impatiemment – un 21 ou 22 du mois – il est loisible de les voir, très tôt le matin, agglutinés près des bureaux de poste, assis sur les bords des trottoirs, debout ou accroupis, appuyés au mur, les traits tirés, vacillants, vêtements usés par le temps et les lavages répétés, mais propres et discrets, ils attendent là, patiemment, I’ouverture des bureaux.
Une fois devant les guichets, l’accueil est désinvolte quand il n’est pas franchement agressif.
Un jour, j’ai rencontré la fille d’un collègue, directeur d’école à la retraite, strictement casanier et grabataire… Lui ayant demandé des nouvelles de son père, elle m’a répondu que celui-ci allait mal, qu’il avait hantise de la facture d’électricité, la peur permanente de ne pas pouvoir s’acquitter de celle-ci, peur des fins de mois impossibles… Combien de travailleurs retraités, souvent des cadres, ont été traînés en justice comme de vulgaires criminels pour persistante d’occupation de logements de fonction ? Sur décision de justice, ils ont été jetés à la rue avec leurs familles, sans état âme !
Je n’oublierai jamais cet inspecteur d’administration et de gestion retraité qui a été traîné devant les tribunaux pour un crime… innommable : refus de libérer le logement de fonction qu’il occupait dans un lycée à Alger, parce qu’il n’avait pas où aller. Il a été jeté à la rue avec sa famille, sans que l’administration concernée ait levé le petit doigt pour lui. Peu de temps après, il mourut d’humiliation et de chagrin. Les exemples de reconnaissance pour services rendus à la nation sont innombrables. Malheur à ceux qui ont été honnêtes, à ceux qui n’ont pas pensé à assurer eux-mêmes leurs vieux jours ? !
Certes, il existe bien une organisation agréée de retraités. Elle fait ce qu’elle peut pour faire entendre sa voix, une voix timide, à peine audible tant elle est pudique, fatiguée, sans conviction… Autrefois les passe-droits étaient montrés du doigt avec mépris. Aux premières années de l’indépendance, ces retraités, ne se souviennent-ils pas qu’il fut indécent de parler de salaire d’intérêt personnel ? “Que vaut notre sueur dans cette Algérie libre, indépendante. Grâce au sacrifice suprême des martyrs qui, dans un élan patriotique spontané, ont laissé derrière eux mère, père, frères et sœurs, des enfants, des épouses dans la force de l’âge, ou tous ces êtres chers à la fois, pour enfin laisser leur vie… sans condition préalable, ni contrepartie d’aucune sorte ?” pensai-ton alors que l’Algérie à changé !
Aujourd’hui le matérialisme, I’égoïsme et L’ingratitude sont devenus monnaie courante. Hélas, les caractéristiques dominantes de notre société.Quand je pense à l’Algérie des années 60/70, j’ai l’impression de vivre aujourd’hui dans un pays qui n’a aucun lien avec celui de cette époque
Dire que les Algériens n’ont jamais été aussi instruits, I’Algérie aussi riche !
B. Kaddour
Un retraité
16 juin 2011
Contributions