Edition du Dimanche 15 Mai 2011
Culture
cherif tifaoui
PORTRAIT…
Par : Hamid Grine
Dans les années 80, Cherif Tifaoui était un faiseur de rois, même s’il n’y avait pas de rois en Algérie, juste quelques roitelets qui roulaient carrosse.
Rien ne se faisait sans lui. J’ai vu, de mes yeux vus, un ancien haut responsable politique s’aplatir devant lui, brosse à cirage à la main. Et je cire, et je brosse et je te reluis les chaussures mon bon maître. J’ai vu, de mes yeux vus, un éminent universitaire, fort en thème, par ailleurs, se faire tout petit devant lui. Et comme il était grand, c’était d’un comique à étouffer de rire que de voir ce grand gaillard se contorsionner pour s’aplatir. Pourtant, le haut responsable comme l’illustre universitaire n’avaient pas tort. Leurs arguments tenaient la route. Mais ils ont préféré donné raison à Tifaoui que perdre son amitié. Il fallait les voir, ces grands escogriffes, tête basse devant cet homme trapu au maintien césarien. D’une moue, d’une simple moue, il les tétanisait. Ivan le terrible Tifaoui qui faisait trembler les plus endurcis ? Du tout. Il était la gentillesse même. Jamais un mot plus haut qu’un autre, jamais une colère. Il a été à deux écoles qui lui ont appris la circonspection. Celle de la Révolution qu’il ne cite jamais comme certains anciens combattants qui ont en fait un fonds de commerce. Et celle du karaté dont il a été le fondateur en Algérie. Il fut le premier président de la Fédération algérienne de karaté.
Homme d’influence, Cherif Tifaoui faisait des miracles dans les élections. Je me rappelle de celle du président du COA. Il y a eu consensus du mouvement sportif sur une personnalité connue. Ne voilà-t-il pas que la veille des élections, Tifaoui nous sort de son chapeau un lapin, au joli minois et à la chair tendre. “Mais il va être croqué à toutes les sauces !” s’écrièrent quelques âmes charitables. Tifaoui les rassura avec un sourire, juste un sourire. Ceux qui connaissent son langage ont compris ce qu’il y avait à comprendre. C’est le lapin qui passera. L’autre candidat n’est qu’un lièvre. Et le lapin est passé. À l’unanimité en plus. Du grand art. À l’arrivée, le lapin à la chair qu’on croyait tendre se révélera un dur à cuir qui savait à l’occasion donner des coups de griffes qui en imposent. Le COA qui avait besoin d’ordre se rangea en rang serré derrière ce nouveau président.
Ne visant ni prébende ni poste, se contentant d’être la conscience du mouvement sportif, il prit la défense du président de la fédération de l’époque Omar Kezzal quand le ministère de tutelle voulait le dégommer pour les mauvais résultats des Verts à la CAN de 1992. Tifaoui fut la seule voix qui s’éleva à l’époque en déclarant que c’est à l’assemblée générale de la FAF de déchoir le président élu et non le ministère. Il parla d’atteinte à la démocratie. Il fit mieux, il démissionna. C’est que Cherif Tifaoui a le sang parfois chaud.
Vice-président du COA sous l’ère Mentouri, il déplorait la pusillanimité de son instance face au ministère de la Jeunesse. ça n’aurait tenu qu’à lui, il n’aurait pas été aussi conciliant avec la tutelle. Et c’est une litote. Tifaoui le baroudeur ne comprenait pas Mentouri le diplomate. Mais quand celui-ci démissionna pour des raisons d’éthique – ah ! le beau geste ! – ne voulant pas cumuler à la fois deux postes, celui de ministre des Affaires sociales, si je ne m’abuse, et celui de président du COA, le premier à lui rendre hommage fut Tifaoui qui déclara qu’il a été honoré de travailler avec un homme qui sert le sport avec une haute exigence morale. Aujourd’hui retiré des affaires du sport, Cherif Tifaoui prend la plume à l’occasion pour dénoncer ce qui lui semble être des dérives. Son cheval de bataille a toujours été le même : respect de la démocratie élective dans le mouvement sportif. Même s’il n’est plus faiseur de rois, Tifaoui est toujours respecté. Et écouté. Parce qu’il reste l’une des consciences du sport. Et parce qu’il a toujours donné. Sans prendre et se faire prendre.
H. G.
hagrine@gmail.com
16 juin 2011
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