Edition du Mardi 03 Mai 2011
Dossier
Audiovisuel : le choix du monopole
Alors que l’opinion commence à se construire sur le net et dans les médias étrangers
Par : Karim Kebir
En appelant les médias lourds à s’ouvrir aux différents courants politiques, Bouteflika admet implicitement qu’ils ont été fermés jusque-là à l’opposition.
“La création de chaînes de télévision privées relève d’une décision politique.” Voilà qui a sans doute le mérite de la clarté. Le ministre de la Communication, M. Nacer Mehal, ancien patron de l’APS, a mis fin le 28 avril aux illusions sur une probable ouverture de l’audiovisuel au privé. Selon lui, l’affaire relève du pouvoir dans sa globalité. Et il le dit : “Cela dit, je me ferai un plaisir d’appliquer la décision quand elle interviendra.” Il faut dire que quelques jours auparavant, le président de la République, dans son discours à la nation, a réitéré son choix pour le maintien du monopole sur les médias lourds avec cependant quelques réaménagements cosmétiques. “Je me dois de vous rappeler que les médias lourds, à savoir la Télévision et la Radio, représentent aussi la voix de l’Algérie dans le monde. Ce qui leur impose de contribuer à la consécration de l’identité et de l’unité nationales, et dans le même temps, de propager la culture et le divertissement. Mais ils sont surtout appelés à s’ouvrir aux différents courants de pensée politique, dans le respect des règles d’éthique qui régissent tout débat”. “Afin d’élargir cette ouverture aux citoyens, à leurs représentants élus et aux différents partis présents sur la scène nationale, le paysage audiovisuel public sera renforcé par la création de chaînes thématiques spécialisées et ouvertes à toutes les opinions, dans leur diversité”, a-t-il promis.
En appelant les médias lourds à s’ouvrir aux différents courants politiques, Bouteflika admet implicitement qu’ils ont été fermés jusque-là à l’opposition. Mais cet appel à l’ouverture qui semble obéir à des pressions, au regard du contexte révolutionnaire qui balaie le monde arabe, n’est pas fait pour rassurer une opposition victime souvent de la manipulation, lorsque ce n’est pas carrément le boycott.
Dans une lettre adressée, le 4 avril dernier, au ministre de la Communication, le RCD a mis en lumière la méfiance qui existe entre l’opposition et la Télévision algérienne. “L’opinion nationale se construit dans les épreuves quotidiennes, sur la Toile ou dans les médias étrangers. Ce ne sont pas les images truquées, les propos diffamatoires ou les émissions différées, préalablement filtrées par les officines du service de l’ombre, qui réconcilieront nos concitoyens avec leur télévision. Vous conviendrez qu’en attendant de voir la Télévision nationale restituée au peuple, le devoir de tout Algérien est de ne pas servir d’alibi ou de proie à la désinformation en boycottant les médias réduits à des structures de propagande”. Pour ce parti, la Télévision est “l’instrument majeur de la politique de stérilisation culturelle et artistique et de la désinformation de la vie publique”.
Le RCD n’est pas le seul parti à dénoncer la mainmise des autorités sur les médias lourds. Il y a aussi d’autres acteurs politiques, d’autres institutions et autres ONG. En visite du 11 au 18 avril dernier en Algérie, Frank La Rue, rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté de l’opinion et de l’expression, a mis l’accent sur la nécessité de l’ouverture de l’audiovisuel à l’initiative privée. “Les médias publics doivent être indépendants du gouvernement et de toutes les parties au pouvoir”, a-t-il estimé. Parmi ses recommandations : la mise en place d’une autorité indépendante pour réguler l’action des médias publics ; l’accès de l’opposition et des ONG aux médias lourds et l’ouverture du champ audiovisuel à l’initiative privée. Mais jusqu’à quand le pouvoir restera-t-il sourd à cette nécessité qu’imposent désormais les enjeux de l’heure ? Si bien entendu, le maintien du monopole lui permet de garder le contrôle en partie sur l’opinion, il reste que le développement effréné des nouveaux moyens de communication ne le met pas forcément à l’abri des “surprises”. La Tunisie et l’égypte sont, à ce titre, des exemples édifiants. à méditer, donc.
16 juin 2011
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