Edition du Mardi 05 Avril 2011
Des gens et des faits
Les racines de l’amour
La nouvelle de Yasmine Hanane
L’histoire
qui va suivre a eu lieu aux fins fonds de la Kabylie, au cours des
années trente. Les mœurs rigides de l’époque et les tabous étaient
omniprésents dans les coutumes et les us des familles et gare à ceux qui
osaient les transgresser. Car les ignorer, c’était inéluctablement badiner avec l’honneur. Et l’honneur n’a qu’un seul prix : le sang.
C’était
le début du printemps. La neige commençait à fondre sur les hauteurs
des montagnes. La nature renaissait, et les champs étendus à perte de
vue, revêtaient ce tapis verdoyant qu’aucun artiste, aussi doué fut-il,
ne saurait plagier les tons, qui alliaient le plus beau pastel au plus
éclatant des foncés. Cette palette de couleurs naturelles promettait une
belle saison, après un hiver qui avait fait hurler les loups dans leurs
cavernes.
Les villages qui se dressaient au pied d’un Djurdjura
majestueux se réveillaient de leur torpeur et les paysans se frottaient
les mains à la pensée des prochaines récoltes.
Les épis de blé encore verts et les arbres fruitiers sont déjà un prélude à une saison prometteuse et rentable.
Des
bourgeons de fleurs commençaient leur éclosion, et les marguerites déjà
exposées à la caresse du soleil printanier, complétaient un décor des
plus pittoresques.
Au village D., on s’apprêtait à fêter la belle
saison. Bientôt les villageois organiseront “la fête du printemps” et
il y aura sûrement à boire et à manger pour tous.
Les mères de
famille prépareront, chacune à leur façon, des plats succulents et des
gâteaux au miel, tandis que les jeunes filles se permettront à cette
occasion un brin de coquetterie, afin d’attirer un éventuel fiancé.
C’était
parfois ainsi que des relations se tissaient. Des familles qui
s’étaient perdues de vue se retrouveraient, et les jeunes gens osaient
se regarder ou se sourire ne serait-ce que furtivement. La suite
dépendra de la tournure de la rencontre et des voies impénétrables du
destin.
Da Kaci rabat le pan de son burnous sur son épaule, et
s’apprête à quitter la maison. Il ouvrit toute grande la lourde porte
en bois qui grinça d’une manière plaintive, puis tâtonna avec sa canne
les bordures du seuil afin d’éviter d’éclabousser ses vêtements de cette
boue collante qui se formait à chaque fonte de neige, et qui souvent ne
séchait qu’après plusieurs jours, et encore, cela dépendait du temps,
et du soleil. Si la pluie revient, cette terre gorgée d’eau, rejettera
ses entrailles vaseuses, et rendra la pente qui descendait jusqu’au bas
du village, glissante, voire même dangereuse, du fait du relief
accidenté de la colline.
Mais en ce jour ensoleillé, la nature
semblait plus clémente. Da Kaci mit un pied dehors et planta sa canne
dans le sol. C’est bon. Il pouvait sortir sans crainte et faire un saut
au café du village. Cela faisait déjà belle lurette qu’il n’y avait pas
pointé son nez. La neige et le froid en avaient dissuadé plus d’un de
quitter sa chaumière, et les longues veillées autour de l’âtre, avaient
remplacé les rencontres publiques dans les cafés ou à la djemaâ.
Da
Kaci entama donc la descente du sentier et se retourna plus d’une fois
pour voir si personne ne le suivait. Il savait que les voisins ne
rateraient pas une sortie en cette journée printanière, et espérait en
rencontrer quelques-uns afin de faire un brin de causette.
Mais en
guise de rencontre, il n’entrevit que quelques jeunes filles, qui
revenaient de la fontaine, leurs jarres remplies d’eau fraîche sur le
dos. Elles discutaient et riaient entre elles, et ne firent même pas
attention à lui. Celles qui le remarquèrent au dernier moment baissèrent
pudiquement les yeux.
(À suivre)
Y. H.
15 juin 2011
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