Que l’on soit riche ou pauvre, blanc, brun ou noir, nordiste ou sudiste, natif de la capitale ou de l’arrière arrière-pays qui n’a pas encore été décolonisé, qu’on porte le nom d’une fortune mal acquise ou d’un responsable à vie, les enfants algériens naissent-ils tous égaux ?
Enfants de neuf, ils viennent au monde dans un hameau perdu de Ramka, sur le trottoir de la République, dans l’arrière-salle d’une boutique, dans un hôpital public ou une clinique privée. Ils n’ont, cependant, pas la même vie. Il y a les enfants de ceux qui ont dilapidé le pays pour effacer un passé honteux, s’offrir un présent radieux et garantir une retraite dorée. Ils ont érigé les lois et emprisonné le peuple, le condamnant à se taire et à s’immoler. Ils ont enfermé la liberté en ouvrant un cimetière sous l’eau. Ils ont inscrit leurs enfants dans les écoles des blonds aux yeux bleus pour les soustraire aux bahuts laboratoires du pays. Ils envoient leurs enfants se soigner dans des hôpitaux propres, où ce n’est pas la femme de ménage qui fait la loi, après avoir sinistré la santé à coups de circulaires malades. Ils ont privatisé les banques, les entreprises, les mairies et l’Algérie pour signer des chèques, sans intérêts et non remboursables, au nom de leurs enfants. Des enfants qui roulent en Ferrari, Mercedes ou Lomborghini, nagent en hors-bord ou en jet-ski, passent la nuit dans des palaces au nom de la République. Des enfants des étoiles qui croient que l’Algérie est le jouet de leur père et que les Algériens de basse caste des troufions à leur service. Et puis, il y a les autres, la majorité, le peuple des va-nu-pieds, ceux qui squattent les arrière-cours, les buanderies et les caves de l’indépendance. Ceux dont les enfants sont nés contre leur gré, ignorant le planning familial et répudiant la contraception. Des enfants nés dans des masures, à l’ombre des années de braise, portant sur leur carte d’identité, Bentalha, Ramka, Sid el Djillali, Telagh ou Raïs comme lieu de naissance. Une croix à porter pour le reste du chemin. Des enfants abandonnés pour cause d’orphelinat, de maladie ou de misère. Des enfants qui avalent des kilomètres de poussière pour s’asseoir devant le tableau noir de notre chère école. Des enfants interdits de jeu et d’espoir, de vacances et de soleil. Des enfants qui découvrent l’âge adulte à la porte de leur dixième anniversaire, qui travaillent comme porteur, revendeur à la sauvette, chramti, receveur dans un bus du peuple ou délinquant. Ils sniffent de la colle pour se voir à Disneyland ou à Alger. Ils meurent faute d’un vaccin parce que l’on a décidé qu’il n’était pas nécessaire à la survie. Ils maudissent le nom du père en oubliant celui du fils, se réfugient dans la religion en détestant la République. Des enfants devenus adolescents qu’on envoie au maquis pour une mort résiduelle ou qui embarquent pour rencontrer les poissons de la Méditerranée. Les enfants naissent-ils tous égaux ? Oui, parce qu’au terminus, tout le monde descend que l’on soit riche ou pauvre, brun ou noir, nordiste ou sudiste, natif de la capitale ou de l’arrière…
Le Quotidien d’Oran Mardi 14 juin 2011
14 juin 2011
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