Le Sud algérien se réveille. A quoi ? A son droit au pétrole, au travail et à la décolonisation interne. Depuis peu, bien que le sujet reste négligé, il y a des grèves, des marches, des immolations et des émeutes dans les villes du Sud. Principalement celles proches des puits de pétrole et loin des mains.
Là, les chômeurs veulent du travail, la terre, l’argent et le baril et tout ce qu’aurait eu le fils de Bouteflika si Bouteflika avait eu un fils. Là, les chômeurs brûlent, s’immolent, cassent, crient, hurlent mais le tout dans le désert. Pourquoi ? Parce que le Pouvoir, lui, s’occupe soit du Nord, soit de l’extrême Sud, au Sahel. Pour lui, le danger vient d’El-Qaïda ou du CNCD et des grévistes. Les gens entre les deux géographies n’existent pas, sauf pour danser et conduire le chameau de la dune vers l’infini. D’ailleurs, il est dit du prête-nom du système «Abdelkader le Malien», pas Abdelkader de Ouargla. Quand il veut se sentir aimé et bien accueilli, Bouteflika va inaugurer un robinet à Tam et pas un barrage à Tizi Ouzou. Du coup, même les manifestants au Sud sont traités comme des grains de sable par un balai négligent: à Ouargla, les chômeurs font grève, incendient un commissariat ou bloquent une daïra, le Pouvoir ne répond pas. Il laisse pourrir au soleil et se régler le différend par l’érosion. Ouargla n’est pas Alger et donc pas besoin d’y envoyer des polices et des matraques. Le temps tue tout dans le Sahara, y compris la colère par le thé ou la sieste. Une autre raison est celle de la prudence: à Alger, on peut fermer Alger, mais au Sud, on risque de créer une république de la colère, ou un émirat des hydrocarbures indépendants. Donc, on ne frappe pas dans le tas, on isole, on promet puis on laisse le vent de sable ramener le sable sur la question. Pourtant la question est grave: la partie la plus riche du pays, celle qui donne au pays son argent de poche, vit mal, ne travaille pas, n’a pas de loisirs et est «colonisée» par des familles entières de hauts cadres venus du Nord, alliés entre le pétrole et les galons, au détriment des enfants du pays. Et si, au Nord, le Pouvoir est arrivé à acheter tout un peuple et à corrompre beaucoup comme on récupère son permis de conduire pour 5.000 DA, au Sud, il ne s’en soucie pas et ne songe pas que les gens du Sud puissent être une grosse menace, sauf s’ils prennent les armes et s’enfoncent encore plus dans le désert. On parle donc souvent de maffia au Nord, celle des sables de carrières, des ANSEJ, des aides de l’Etat, des partis, des banques ou d’autres mais on oublie, dans l’inventaire, cette maffia de «colons» du Nord qui occupe le Sud, le trait comme une vache, le traite avec mépris et lui tape dessus quand il veut s’organiser ou demander le droit au baril. Les Algériens du Nord sont une menace, ceux du Sud un décor. Donc, pas la peine d’y implanter une tension, mais seulement un aspirateur. C’est ce que pense le Pouvoir: au Nord, il compte sur le MSP, le FLN, le RND, Sidi Saïd et quelques autres milliers de larbins indicateurs; au Sud, il compte sur le pragmatisme des multinationales du pétrole. Vous voulez retrouver le regard qu’avait le colon sur vos ancêtres ? Allez voir comment les «puissants» du Nord regardent les gens du Sud quand ils leurs demandent du travail et de l’égalité. Le pétrole y a introduit un code de l’indigénat qui persiste et dont on a peu conscience au Nord. Là, Abdelkader le Ouargli veut aussi être ministre à 25 ans comme Abdelkader le Malien. Ou, du moins, vivre aussi bien que lui.
Le Quotidien d’Oran Lundi 13 juin 2011
13 juin 2011
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