Edition du Mardi 08 Mars 2011
Chronique
Révolutions des peuples, impuissance du monde
Par : Mustapha Hammouche
Kadhafi, après Gbagbo, est en train de faire la démonstration que ce n’est pas “la communauté internationale” qui peut faire le bonheur des peuples.
Piégée par ses contradictions, celle-ci regarde, impuissante, la contre-offensive sanglante du guide. Impuissante et impassible, si ce ne sont des manœuvres souterraines, comme cette “mission diplomatique” britannique débarquée à Benghazi, composée essentiellement de forces spéciales, et qui a tourné au fiasco. Il use de l’aviation, de l’artillerie lourde et du mercenariat et déclare, après quelques milliers de morts, qu’il n’a pas encore frappé.
Réuni “d’urgence”, comme de bien entendu, le Conseil de sécurité n’a pas fait progresser la révolution libyenne ni écourté la souffrance de la population qui, certainement, ira en s’aggravant dans les prochains jours.
Les ONG font déjà ce qu’elles peuvent, mais l’agitation humanitaire de l’ONU et celle de l’Europe compensent mal leur impotence politique quand il s’agit de crises internes aux “petites” nations. Ce qu’elles ne peuvent pas faire en temps de paix, pourquoi pourraient-elles le faire en temps de guerre ? Quand la pression pour la démocratisation était possible, il n’y avait que des états pour parler à Kadhafi ; et il n’y en avait que pour leurs balances de paiements et leur sécurité contre le terrorisme islamiste et l’immigration. Maintenant que la guerre est là, les états passent le témoin aux organisations internationales et régionales.
En Côte-d’Ivoire, Laurent Gbagbo nous inflige la même démonstration quant à la capacité de la “communauté internationale” à soutenir un processus de révolution démocratique dans un pays longtemps bloqué par le sous-développement politique et présentement enchaîné par la dictature.
Et c’est encore moins des syndicats de despotes comme l’Union africaine ou la Ligue arabe qui pourraient pallier la solitude des aspirations démocratiques nationales en Afrique et au Moyen-Orient. On voit comment la Communauté de états d’Afrique de l’Ouest et l’UA patinent, à vouloir convaincre Gbagbo de se conformer au verdict électoral homologué par les Nations unies, et comme la Ligue n’a rien trouvé à dire quand le massacre est de la responsabilité locale. Pas même un agresseur à dénoncer ! Mais il ne tardera pas à se révéler : il suffit d’une autre incursion à l’anglaise ou d’une imprudence de la marine américaine.
La Libye n’est pas la Tunisie, ni l’Égypte, comme aurait dit Medelci. Et pour cause : les Tunisiens et les Égyptiens ont eu l’intelligence — ou la chance —, de conduire leurs révolutions, sans discontinuer, jusqu’à (presque) leur conclusion, sans contradiction notable dans le mouvement. Il semble qu’en Libye, de réelles complications commencent à remettre en cause l’harmonie de ce mouvement. Kadhafi risque peut-être de voir peser sur lui l’inculpation de crimes contre l’humanité, mais cela n’avancera pas la cause des insurgés et n’économisera pas les vies humaines.
Chaque peuple semble condamné à faire son histoire. Mais à chaque étape, chaque peuple paie le prix du retard préalablement accumulé. Le monde, tel qu’il est, ne peut finalement pas grand-chose pour les peuples.
M. H.
musthammouche@yahoo.fr
11 juin 2011
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