Edition du Mercredi 02 Mars 2011
Chronique
Naufrage
Par : Mustapha Hammouche
Elle a fini par se banaliser, la tragédie sans cesse renouvelée des naufrages de harragas. Comme s’étaient banalisés les carnages répétés de la décennie noire. Est-ce le mode de médiatisation ou est-ce l’aptitude de la société à s’habituer à tout ce qui la rend insensible à de régulières hécatombes ?
On se souvient de la manière dont nous nous accommodâmes de bilans “techniques” de ce que notre ministre des Affaires étrangères appelle, à nouveau, “la guerre civile”. Et la question tournait vite au nombre d’égorgés — exagéré ou réduit —, sur l’identité des véritables auteurs — militaires ou islamistes. Les victimes passaient ensuite au compte des pertes et profits (par perte et profit) dans la macabre comptabilité de la tragédie, une comptabilité finalement inutile, l’oubli étant désormais érigé en cause nationale.
Parfois, un événement vient nous arracher à notre flegme égoïste. Comme ce message du jeune Moussa, ce harraga qui a pris le temps d’enregistrer son ultime pensée sur son téléphone, dans l’espoir, le dernier, de se faire pardonner par ses parents de sa fatale audace.
Il a donc pris le temps de regarder sa mort venir, de penser à ses parents, d’enregistrer les dernières paroles qu’il souhaitait leur faire entendre, de mettre son message sous protection. Ils étaient dix-huit, à la fleur de l’âge, à regarder la mort en face. Nul ne saura le temps qu’a duré leur calvaire. On sait seulement que c’est dix-huit autres drames qui, au milieu de ce mois de janvier, se sont ajoutés aux centaines d’autres déjà survenus au cours des années précédentes. Et on peut mesurer, à travers cette catastrophe maintes fois répétée, la profondeur de l’échec national, s’agissant de donner aux jeunes une raison de vivre.
Désespérés d’accéder un jour à “une vie meilleure”, Moussa et ses compagnons ont laborieusement économisé pour tenter l’incertaine traversée. Fatalistes, ils savaient certainement que les moyens de fortune que sont ceux de la harga ne sont pas une assurance pour la vie dans une Méditerranée capricieuse. Ce qui explique le ton résigné du message filmé : “Je vous demande pardon pour tous les torts que je vous ai causés, mes chers parents. J’espère vous retrouver au Paradis. J’aspirais à une vie meilleure sous un ciel plus clément mais, hélas, le destin a voulu que ce soit autrement…”
Victime de l’état de sa société, Moussa trouve, au moment d’être englouti par la mer, la ressource de se culpabiliser pour la peine que sa disparition ne manquera pas d’infliger à sa famille.
Symboliquement, le naufrage de Moussa, qui s’est répété en centaines d’exemplaires ces dernières années, est aussi le nôtre. Il nous invite à mesurer l’incongruité du discours sur les “réalisations” accomplies par “l’État” au profit de la jeunesse. Un État occupé à pactiser avec les vendeurs à la sauvette et avec les insoumis pour désamorcer la colère des jeunes et les retourner contre la demande de changement.
C’est le naufrage d’une politique d’un pouvoir, à ce point attaché à sa rente, qu’il ne lui reste plus que le recours à l’instrumentalisation du désespoir qu’il a produit.
M. H
.musthammouche@yahoo.fr
11 juin 2011
Contributions