Edition du Dimanche 27 Février 2011
Culture
mouloud mammeri
PORTRAIT…
Par : Hamid Grine
Mouloud Mammeri est une énigme. Il a toujours senti le soufre. On le blâme sans l’avoir connu, on juge son œuvre sans l’avoir lu. On le cherche là où il n’est pas, on l’oublie là où il est.
Toujours discordant, toujours dissonant malgré lui. Ainsi, dès la parution en 1952 de son premier roman La colline oubliée, Mohamed-Chérif Sahli, un éminent historien, le cloue au pilori dans Le jeune musulman. Sous le titre : “La colline du reniement”, il lui reproche notamment d’avoir été édité par un grand éditeur français alors qu’il était un quasi-inconnu en s’interrogeant, dans la foulée, sur l’accueil favorable de la presse à son roman. Mammeri lui répondra dans le même journal.
Après l’avoir traité d’envieux, jaloux de son succès, il lui fait observer que s’il voulait vraiment des éclaircissements sur l’œuvre, il aurait pu lui écrire amicalement sans passer par un journal en semant le trouble dans les esprits de ses jeunes lecteurs. Il conclut par un proverbe algérien “dont vous pouvez par vous-même éprouver la vérité, écrit-il : plus on essaye de laver une ordure sur une natte et plus elle s’étale.” Cette chute traduit l’état d’exaspération de l’écrivain. Sahli lui répondra qu’il ne le suivra pas sur le terrain de la polémique tout en annonçant une importante et remarquable étude de Mostefa Lacheraf. En somme, c’est la grande artillerie qui entre en jeu. Le titre de la contribution dit tout : La colline oubliée ou consciences anachroniques. Lacheraf écrit notamment : “Si ce roman produit sur nous une telle impression c’est un peu à cause du genre régionaliste qu’il représente et, surtout, pour un parti pris sentimental et même passionné qui en fait, paradoxalement, une œuvre stérile sans élans véritables. Il n’y a pas que l’amour de la « petite patrie » qui anime ce livre, il y a aussi la façon presque agressive, injuste, avec laquelle on retranche la communauté régionale du reste du pays.” La messe est dite : Mammeri est un écrivain régionaliste plus francophile qu’arabophone. Cette étiquette le suivra jusqu’à la mort.
Comme toutes les étiquettes, elle est fausse. Mais elle a une fonction : celle de réduire Mammeri à un écrivain pro-kabyle et anti-tout ce qui ne l’est pas. Vérité des idéologues n’est pas vérité. Mammeri est un écrivain authentiquement algérien revendiquant l’amazighité de toute l’Algérie et non d’une région. Il aime l’Algérie dans sa diversité culturelle tout en lui accordant la même base ethnique : celle des Amazighs, certains plus arabisés que d’autres. Ce n’est que près de trente ans plus tard que Mammeri répondra à ses détracteurs. Dans un livre d’entretien avec Tahar Djaout, il dira : “Il ne s’agit point ici de ressusciter une polémique vieille maintenant de plus de trente ans, ce qui est parfaitement inutile, mais d’en tirer des conclusions capables de servir encore aujourd’hui et sans doute en tout temps. Il y a dans La colline oubliée toute une peinture de la situation coloniale telle qu’elle était vécue à l’époque : il y a une misère généralisée, l’injustice d’un ordre fondé sur la violence et le déni des droits élémentaires, il y a la mobilisation de jeunes Algériens (…) Le véritable engagement consistait à présenter cette société telle qu’elle était dans la réalité et non pas telle que l’aurait reconstruite un choix de héros dits positifs ou retraduite un discours idéologique, c’est-à-dire un mythe.” La tirade est longue, mais elle nous permet de mieux comprendre le point de vue de l’auteur loin de toute polémique. Homme courtois, affable, d’une grande générosité, Mammeri fut un homme libre et parce qu’il était libre, il fut toujours ignoré par tous les pouvoirs. L’intellectuel le plus persécuté d’Algérie, selon le mot de Djaout, trouva la mort le 26 février près de Aïn Defla. Plus de 200 000 Algériens l’accompagnèrent à sa dernière demeure. Plus de 200 000 et aucun officiel. Mort, il continuait à faire peur à ceux qui voulaient le modeler en caisse de résonance à leur gloire. La gloire de Mammeri justement c’est d’avoir été aimé par son peuple et méprisé par son pouvoir.
Les uns aiment avec le cœur, les autres avec des postes. Et les poètes n’ont d’autres postes que leurs plumes…
H. G.
hagrine@gmail.com
11 juin 2011
Contributions, LITTERATURE