Edition du Jeudi 17 Mars 2011
Contribution
La DÉPÉNALISATION DE L’ACTE DE GESTION : MIRAGE OU RÉALITÉ ?
Par : Miloud BRAHIMI
La dépénalisation de I’acte de gestion est une mesure éminemment politique.
La preuve en est qu’elle a été annoncée par le président de la république, qui plus est avec la levée de l’état d’urgence et l’ouverture des médias officiels aux parties politiques et à la société civile, soit deux initiatives qui renvoient l’une et I’autre au fonctionnement politique des institutions. Il n’y a rien là que de très normal, puisque la pénalisation de l’acte de gestion, fut elle-même une décision politique prise au début de l’indépendance, systématisée en 1975 et prolongée à ce jour, avec des adaptations diverses. C’est que cette mise sous haute surveillance des cadres gestionnaires est intimement liée à la nature d’un système qui s’est voulu résolument socialiste et n’arrive pas encore, sinon à entrer dans l’économie de marché, du moins à se débarrasser de l’économie administrée. Autrement dit, le délit économique n’est que la forme archaïque du délit politique. On s’en est bien rendu compte au début des années 1980 quand, sous prétexte d’assainissement, le nouveau pouvoir a utilisé la justice pour se livrer à une campagne débridée de “déboumédienisation”.
On se souvient qu’à l’époque la cour des comptes, fraîchement instituée, avait fait un démarrage tonitruant pour accabler le personnel politique décrété “persona non grata” par les nouveaux maîtres. Mission accomplie, elle est entrée dans une lente et longue léthargie dont elle peine à se relever jusqu’au jour d’aujourd’hui. Les suites de cette intrusion massive du politique dans la gestion de l’économie sont connues : éviction de grandes compétences nationales et précipitation de l’économie dans le néant, dont les apprentis sorciers ignoraient qu’il y a d’autres propriétés que celle de ne rien contenir, comme en témoignent les évènements d’Octobre 1988 et la décennie rouge…
Ce n’est pas le moindre paradoxe qu’un arsenal juridique et judiciaire propre aux régimes socialistes ait servi à forcer les portes d’un libéralisme balbutiant, primaire et … intéressé au sens littéral du terme. Cette observation de terrain vaut pour la deuxième campagne dite d’assainissement du milieu des années 1990, quand furent sacrifiés des fleurons de I’économie nationale comme Sider et Cosider, deux entreprises symboles de la réussite de l’économie étatique. On se souvient des amabilités réservées par le général Mohamed Betchine à son ex-collègue de la présidence, Ahmed Ouyahia, au procès (après cassation) Sider à Annaba, où ils ont curieusement déposé comme témoins. Leur audition n’est pas étrangère à l’acquittement des accusés, après plusieurs années de détention (condamnation ?) préventive. C’était une autre manifestation du caractère politique du délit économique, et de ses ravages, avec la mort programmée de Sider.
Par réflexe de survie plus que par conviction, le pouvoir a tenté, de temps à autre, d’alléger les méfaits de la pénalisation de l’acte de gestion. Ainsi, a-t-il abrogé en 1988 le délit de mauvaise gestion (art 421 du code pénal), sans toucher à la substance de l’infraction, qu’on retrouve… aggravée dans la sanction de celui qui “délibérément” (!) laisse périr ou de détériorer des biens de l’État (ex-art 422 CP). On conviendra que seuls des esprits singuliers peuvent imaginer qu’un cadre de la nation est capable d’assister joyeusement, sans aucune réaction, au dépérissement des biens dont la communauté lui a confié la charge. Ces acrobaties de mauvais aloi ne sont rien moins qu’isolées. Ainsi du texte (ex-article 423 du code pénal) relatif aux contrats signés en violation de la réglementation en vigueur qui a connu cinq modifications (!!) depuis 1975, preuve s’il en est qu’il ne répond à aucune définition précise, sinon que sa seule raison d’être, encore et toujours, est de servir et de sévir contre les cadres gestionnaires. Il vaut la peine de citer la modification apportée par la loi du 13/02/1982 au titre de laquelle le délinquant (!) encourt la peine de 5 à 10 ans de réclusion criminelle s’il signe un contrat “en violation de la législation en vigueur et (conjonction de coordination s’il vous plaît) avec l’intention de nuire aux intérêts de l’État… ou de l’organisme qu’il représente”.
Oui, il faut imaginer un cadre gestionnaire se lever un jour du mauvais pied (insomnie ? chagrin d’amour ?) pour prendre la décision de signer un contrat dans le seul but d’attenter aux intérêts de son pays… il faut convenir qu’il ne s’agit plus d’un dérangement passage de l’esprit. C’est le comble du délire. Pourtant ces dispositions “légales” ont trouvé application. Des cadres ont perdu travail, honneur et liberté parce qu’il s’est trouvé des juges pour les appliquer… Si l’article 422 du code pénal a (définitivement ?) disparu, l’ex-article 423 a trouvé refuge dans la loi “anti-comption” n°06-01 du 20/02/2006 (art 26), après un toilettage besogneux. Fi des intérêts de l’État, on va désormais sanctionner l’agent public qui signe un contrat dans les conditions sus-mentionnées “en vue de procurer à autrui un avantage injustifié”. C’est un progrès, mais en apparence seulement, puisqu’on ne voit pas pourquoi on s’exposerait aux rigueurs de la loi pour obliger autrui.
À moins qu’on en attende une contrepartie, mais alors il faut appeler les choses par leur nom et s’attaquer directement à la corruption qui implique, dans sa définition universelle, la rémunération d’un acte (ou d’une abstention) en rapport avec ses fonctions. Auquel cas l’article 26 ne présente plus aucun intérêt. Pire encore, il pourrait constituer un sérieux obstacle à la lutte contre la corruption dans la mesure où l’agent public pourrait a contrario impunément “procurer à l’autrui un avantage injustifié” pourvu qu’il respecte – ce n’est pas bien difficile – les dispositions législatives et réglementaires en vigueur. C’est dire que ce texte doit disparaître au plus tôt. Il n’est évidemment pas le seul. Ainsi de la récente mouture de la mauvaise gestion, revenue en force avec la loi du 26/06/2001 sous une forme incongrue puisque l’article 119 bis du code pénal a été introduit pour sanctionner la “négligence manifeste” (infraction involontaire) qui favoriserait “le vol ou le détournement ou la détérioration ou la perte” (ouf !) “des deniers publics ou privés ou des effets en tenant lieu ou des pièces, titres, actes, effets mobiliers” (re-ouf !)… c’est-à-dire une infraction volontaire ! C’est à vous faire regretter le bon vieil article 421 bien plus exigeant pour l’accusation, puisqu’il n’était applicable qu’en cas de “négligence grave et manifeste” à la source “d’un préjudice direct et important”. Encore une disposition qui exprime un net recul par rapport aux plus belles années de l’économie administrée, et dont I’abrogation relève de l’urgence absolue. La vérité est que les objectifs de la loi d’orientation du 12/01/1988 qui a découplé la gestion des entreprises publiques économiques du code des marchés publics ont été progressivement laminés par des textes de circonstance dont le décret du 07/10/2010 constitue l’apogée. En effet, ce texte est venu parachever la mauvaise œuvre avec un article 2 littéralement schizophrénique, qui affirme une chose (dispositions applicables “exclusivement” aux administrations publiques…) et son contraire (les EPE sont tenues d’adopter le CMP et leurs organes de la “valider” (sic), comme si la loi a besoin de validation pour s’imposer).
Il est temps de mettre un terme à ces extravagances, en concrétisant loyalement l’engagement présidentiel de débarrasser le pays d’un dispositif qui lui fait tant de mal.
Pour autant, rien n’est encore acquis, et les gardiens du temple et autres bureaucrates patentés ne lâcheront pas facilement prise. À l’image de ces juges qui, dixit Jacques Vervès, éprouvent un sentiment d’appauvrissement chaque fois qu’ils doivent remettre en liberté un détenu, ils supportent mal d’être privés d’une panoplie d’incriminations d’autant plus efficaces qu’elles sont malléables à souhait.
Ce serait lâcher la proie pour l’ombre et si leur expertise fait fureur dans I’addition, elle est quasiment nulle dans la soustraction, comme l’illustre le façonnage du texte relatif au détournement de deniers publics (ex-article 119 du code pénal, devenu article 29 de la loi 06-01 sus-visée du 20/02/2006). Voici une disposition qui devrait faire l’unanimité, s’agissant de sanctionner l’abus de confiance aggravé par la qualité de l’auteur (agent public) et la nature des biens détournés (deniers publics le plus souvent). Le droit français visait “le détournement ou la dissipation” avant de supprimer ce dernier terme, dans un souci de simplification, pour ne mentionner, dans le code de 1994, que le détournement, sans affecter en rien cette infraction qui reste ce qu’elle a toujours été, à savoir un abus de confiance par disposition illicite (peu importe la forme) des biens confiés à la garde de l’agent. La convention internationale contre la corruption (dite convention de Merida) du 31/10/2003 dûment ratifiée par l’Algérie le 19/04/2004, invite les États à conférer un caractère pénal “à la soustraction, au détournement ou à un autre usage illicite” des biens sus-visés (art 17). Il est clair que cette énumération n’a qu’un caractère indicatif, mais notre législateur a cru devoir ajouter une couche dans la loi anti-corruption du 20/02/2006 en sanctionnant “tout agent public qui soustrait, détruit (!), dissipe ou retient (?) sciemment et (!) indûment” les biens dont il s’agit. Les problèmes inhérents à la traduction arabe-français ont fait le reste, et la dissipation (disparue du droit français et absente de la convention de Merida) a progressivement glissé vers la dilapidation, plus proche d’une gestion chaotique que du détournement proprement dit. Résultat des courses : un ancien patron d’entreprise publique économique a été arraché à sa retraite pour, au bout d’une pénible procédure, se faire acquitter du chef de détournement de deniers publics (I’honneur était sauf), fait prévu et puni par l’article 29 sus-visé, mais d’un même mouvement il a été reconnu coupable de… dissipation (dilapidation…) des mêmes deniers publics, fait prévu et puni par… le même article 29 !!!
C’était en 2010, il y a moins d’un an, qu’il s’est donc trouvé une juridiction, et pas des moindres, s’agissant du tribunal criminel, pour décider qu’un article de loi (art 29 in casu) pouvait être le siège de deux infractions (ou plus ?), sauf à admettre qu’on peut être reconnu innocent et coupable à raison d’un fait unique, auquel cas le secours de la philosophie, voire même de la métaphysique, ne serait pas de trop pour essayer de percer l’indicible… On l’aura compris, la dépénalisation de l’acte de gestion est une réforme majeure, à bien des égards plus importante pour l’avenir que la levée de l’état d’urgence.
C’est pourquoi son annonce a été saluée par toutes les forces vives de la nation, dont la déception serait à la mesure de l’espoir, c’est-à-dire immense, si elle venait à être vidée de sa substance par des esprits plus jaloux de la préservation de leur pouvoir de nuisance que du bon fonctionnement des institutions.
En attendant de savoir de quoi l’avenir immédiat sera fait, puisqu’on nous annonce pour bientôt la concrétisation du message présidentiel, il est permis de se demander si le droit n’est pas une affaire trop sérieuse pour être confié à des juristes.
19 septembre 2011 à 16 04 29 09299
meme l’article 33 de la lois 06/01 2006 est à revoir car certains magistrats l’utilisent à tort et à travers car on peut poursuivre n’importe quel gestionnaire par cet article surtout les banquiers ou leurs activité est purement commerciale basée sur la relation confiance en matière de crédit et en application de cette lois je pense qu’elle n’est pas éxplicite et n’est pas trés détaillés meme un oublie d’un documents sur un dossier de crédit,peut engendrer une poursuite judiciaire sans pour autant qu’il n y’est de délapidation ou autre risque tel est le cas sur le térrain.