Edition du Mardi 18 Janvier 2011
Culture
Un artiste doublement exilé
Slimane Azem
Par : Kocila Tighilt
On est allé à la rencontre des dernières pierres qui forment encore la demeure natale de Slimane Azem, à Agouni Gueghrane, dans la région des Ouadhias.
Bâtie sur un flanc de terrain dit Tala Oudekouar, la structure tient à peine sa forme. Pour accéder à cette demeure, un petit passage existe encore, mais livré aux divers déchets jetés par les riverains. Sur les lieux, trois bâtisses sont encore debout. “Elles appartiennent à ses cousins”, nous dit Hocine, un membre de sa famille.
Selon notre interlocuteur, toutes les démarches faites pour restaurer cette maison sont restées vaines. “Pourtant, des milliards sont jetés dans des galas animés par des chebs. Nos responsables culturels penseraient-ils un jour à redonner de l’allure à cette maison et de faire renaître dans ces montagnes la mémoire d’un artiste amoureux de son pays.”
Nous avons rencontré sa sœur, du haut de ses 82 ans, cette sympathique et modeste dame, gardant toujours sa lucidité et sa clairvoyance, a beaucoup à nous apprendre sur la vie, notamment lorsqu’il s’agit d’évoquer son frère. Da-da Slimane, comme elle l’appelle affectueusement, avait toujours travaillé pour son pays.
Il aimait les travaux champêtres, une manière pour lui d’être proche de sa terre, mais aussi de sa foi. “Il était bénévole et volontaire”, nous dit n’na H’djila, la petite sœur de Slimane Azem. Elle nous raconte qu’un jour, son père, Lamara, était allé voir un sage du village pour lui dire que Slimane ne voulait pas aller à l’école, ce qui avait créé entre eux un désaccord.
Le sage lui aurait prédit que “Slimane est éclairé et lui saura illuminer les autres”, nous raconte n’na H’djila, les larmes aux yeux. Elle a fait un saut dans le passé, revu un visage si cher, jamais oublié, d’un frère exilé et jamais revu.
Dans la petite chambre qu’elle occupe au village Agouni Gueghrane, un portrait de ses deux frères, Slimane et Ouali, est accroché au mur, une source d’où sûrement elle puise ses souvenirs. d’da Mokrane, un membre de la famille, dit : “J’avais côtoyé d’da Slimane en France. Étant quelqu’un de sa famille, j’étais proche de lui, j’avais l’habitude d’aller le voir, et c’est là que j’ai découvert un personnage d’une simplicité extraordinaire.” Il a évoqué le côté sage et humoristique de l’artiste.
Juste après l’enregistrement de deux chansons, Fagh Ayajradh Thamurthiw (hors de chez moi, ô sauterelles !) et Idhahred Ouagour (le croissant est apparu), deux chansons qui ont trait au déclenchement de la guerre d’indépendance, appelant le colonialisme à quitter l’Algérie, d’da Slimane fut, selon des membres de sa famille, arrêté et expulsé de France en 1957.
Après un séjour de trois mois à la prison des Baumette avec Amar Mezred, dit Amer Chapeau, il sera transféré à Alger pour être jugé.
Son frère Ouali, qui était député, demanda à Robert Lacoste, gouverneur de l’Algérie entre le 13 juin 1957 au 14 mai 1958, un traitement de faveur pour son frère. Il fut alors mis sous contrôle judiciaire, puis il obtiendra un permis de sortie de la part du préfet de Tizi Ouzou, avant de quitter définitivement le territoire algérien.
Un exil qui sera très long. Même après sa mort, il sera enterré en exil. En 1970, Slimane Azem obtiendra le disque d’Or, qui lui fut remis en présence de Redha Malek, alors que Slimane Azem était interdit d’entrer dans son pays. “N’est-ce pas injuste ?” s’indigne Hocine, un parent à lui.
Dans son village, pas la moindre stèle ou monument à même d’évoquer le personnage. On n’a même pas pensé à organiser quelque colloque ou journée d’étude sur son sujet pour comprendre la poésie de d’da Slimane. Pourquoi avait-il préféré parler des animaux ? Une première tentative pour son rapatriement avait échoué dans le passé.
Depuis, la boucle est bouclée. Verra-t-on un jour le corps de cet homme rapatrié vers la terre qu’il avait tant aimée pour être enterré aux côtés des siens ?
Slimane Azem est décédé le 28 janvier 1983 à Moissac (en France) où il est enterré.
10 juin 2011
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