Edition du Mardi 14 Décembre 2010
Culture
Lors d’un débat télévisé, réalisé dans les années 1960 et rediffusé tout récemment sous forme d’archives en noir et blanc sur BRTV et dans sa grille Intersection, Taous Amrouche a donné libre cours à sa passion d’être une femme multiple tant au point de vue linguistique que culturel.
Elle assume avec force de conviction, avec force de droit et de devoir ces deux mondes de pensée, d’apparence distants l’un de l’autre mais combien complices, sans épanchement préférentiel vers l’un ou vers l’autre. C’est justement cette force de droit et de devoir, malheureusement devenue absente chez nous, qui a plongé notre pays dans les méandres du non-respect de l’autre et du brouillage social. D’elle, Jean Lacouture, grand journaliste au Monde, disait : “L’Africaine, la trop seule, qu’un homme refuse comme il refuserait l’orage — parce que lui, l’Européen, le confortable, l’établi, il ne veut pas entendre l’appel qui trouble et la sommation qui dérange”, à l’image de l’animateur qui tente une feinte pour entraîner Taous dans le sillage de la confusion. La fille d’Ighil-Ali, du haut de sa vision universelle et humaine du monde et tel un rempart, fait dans la clairvoyance et pose un à un les jalons d’une argumentation qui la fait appartenir à deux univers non antagoniques mais plutôt enrichissants mutuellement. Le legs culturel fait de chants, de couleurs, de contes, de poésie et de proverbes qu’elle reçoit de sa mère Fatma ne l’emprisonne pas sur elle-même. Elle n’en fait pas une appartenance exclusive. Elle le propose comme valeur analogique et partagée. Ce sont celles-là les vraies passerelles jetées entre les deux rives de la Méditerranée et plus loin encore. Au Festival des arts nègres, organisé en 1966 à Dakar au Sénégal, elle fut reçue par le chef d’État et non moins poète du siècle moderne, Léopold Sédar Senghor, qui a perçu en elle “une ambassadrice interne et externe de l’Afrique”. Entre-temps, jamais l’Algérie ne lui rendra ces honneurs. Notre pays continue, hélas, de nier et, plus grave encore, de mépriser ces hommes et ces femmes d’envergure qui font connaître le pays autrement qu’un espace où domine l’ostracisme, l’exclusion et l’enfermement de soi-sur-soi. Des femmes comme Taous Amrouche, le pays en regorge pourtant.
A. A.
kocilnour@yahoo.fr
10 juin 2011
1.Contes