Edition du Lundi 17 Janvier 2011
Culture
“Il faut connaître les règles de l’écriture et les oublier”
RENCONTRE AVEC L’AUTEUR RUSSE ANDREÏ GUELlASSIMOV
Par : Sara Kharfi
Durant la rencontre, l’auteur s’est prêté au jeu des questions-réponses, tout en s’attardant sur son écriture, les thématiques qui lui sont chères, et sa conception de la littérature.
“L’extraordinaire se trouve sur le chemin des gens ordinaires”, écrivait Paulo Coelho dans son célébrissime roman l’Alchimiste. C’est en partant de ce principe qu’Andreï Guelassimov, invité samedi dernier à Alger par l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC), dans le cadre des rencontres Dîwan Abdeltif, démarre pour élaborer ses fictions.
Ses personnages sont attachants, pathétiques et portent en eux tous les rêves déçus, toutes les contradictions sociales ; son écriture est cinématographique et son œuvre fait de lui une des plumes les plus prometteuses de la Russie d’aujourd’hui.
De la Soif, où il est question d’un vétéran de la guerre en Tchétchénie qui sombre dans l’alcoolisme, à l’Année du mensonge qui ouvre une perspective sur la grande histoire à travers celle de Mikhaïl Vorobiov qui doit initier un jeune garçon aux plaisirs de la chair et de la bonne chair, en passant par Fox Mulder a une tête de cochon qui se rapproche du roman d’initiation et où il est question de l’amitié d’un adolescent avec une mère célibataire qui doit faire face à la pauvreté pour soigner son enfant, jusqu’à Rachel. Paru chez Actes Sud à la rentrée, ce roman s’intéresse au destin du professeur Sviatoslav Semionovitch Kaufman qui a toujours été quitté par les femmes qu’il a tant aimées. Le souvenir des amours perdues du professeur permet à l’auteur de remonter le temps et d’évoquer les jeunes Soviétiques durant les Sixties. Avec un humour noir et caustique, un très grand sens de l’ironie et une narration en miroir, où chaque détail a de l’importance et mérite qu’on noircisse des pages pour s’y attarder, Andreï Guelassimov pose un regard tendre et juste sur la Russie contemporaine.
Durant la rencontre, l’auteur s’est prêté au jeu des questions-réponses, tout en s’attardant sur son écriture. “Il faut connaître les règles de l’écriture et de la dramaturgie puis les oublier, pour pouvoir s’envoler”, a-t-il souligné. Tout en précisant : “Écrire sur la lutte entre le bien et le mal, ce n’est pas intéressant. Car dans la vraie vie, ce n’est pas le bien et le mal qui s’affrontent. Chez Aristote (et comme il le relève dans son petit ouvrage, la Poétique), la lutte est entre deux frères. Moi, je conçois les choses de la même manière. Je dirai que de préférence, cette lutte entre deux frères devrait déboucher sur un fratricide. Et il serait intéressant que les frères ne sachent pas qu’ils ont des liens de sang…jusqu’à la fin”. Andreï Guelassimov s’inspire fortement de la tragédie aristotélicienne et du principe du conflit insoluble qui pousse les situations à leur paroxysme et où le meilleur est exacerbé.
S’intéressant à son premier roman, la Soif, l’écrivain qui maîtrise l’art de la concision et celui de la contradiction avouera : “Je règle pleins de problèmes personnels dans ce roman car il développe la question de la courte vie humaine et de sa fragilité.”
Andreï Guelassimov a laissé entrevoir un côté mystique qui apparaît dans son écrire. Car “je suis croyant. J’essaie de comprendre ; et la littérature est un bon moyen pour comprendre”, a-t-il confié. Né en 1965 en Sibérie, Andreï Guelassimov, qui avoue qu’il y a une réelle méconnaissance en Russie de la littérature algérienne d’aujourd’hui, a conclu qu’il “essaye de trouver des réponses par l’écrit, afin d’accomplir des choses dans cette vie”.
Par ailleurs, le prochain invité du Dîwan Abdeltif, sera Mathias Enard, le 29 janvier prochain à 14 heures à la salle Frantz-Fanon (Oref). Le Goncourt des Lycéens 2010 présentera son dernier roman, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants.
10 juin 2011
LITTERATURE