Edition du Dimanche 02 Janvier 2011
Culture
À ma dernière rencontre-dédicace, une dame me glisse : “J’ai lu votre portrait de Belkaïd, notamment le passage où vous écriviez qu’il vous a bien reçu sans vous attribuer un logement…
Je suis sûr que si vous aviez vu Aouchiche, à l’époque où il était ministre de l’Habitat ou DG de la DNC, vous auriez eu votre logement sans problème. Il a fait tellement de bien sous ses airs bougons.” Les présents acquiescèrent. C’était un homme bien et de bien le défunt Aouchiche. L’un des rares, aussi, à faire l’unanimité dans une société qui aime déchirer à belles dents ses idoles. C’est vrai qu’aussi loin que je me souvienne, Aouchiche était cité comme l’homme qui avait le cœur sur la main, celui qui ouvrait les portes des logements et des emplois pour les couches les plus défavorisés, celles qui étaient méprisées par les bureaucrates et les petits chefs. En vérité, par son action et son charisme, il se substituait à l’État. Mieux il remplissait, à son niveau, son rôle. L’État paraissait fermé, il était ouvert ; l’État paraissait dure, il était gentil, l’État paraissait injuste, il était juste. Du coup, il perfusait de l’espoir à ceux qui désespéraient de nos politiques. Aouchiche donnait sans compter. Il savait que chaque geste qu’il faisait n’était pas perdu. Puisque ce sont les enfants de cette Algérie pour laquelle il s’est vaillamment battu qui en profitent. Oui, il était un héros, un combattant de la première heure qui est resté fidèle aux idéaux de Novembre jusqu’à la dernière heure. Sa dernière heure. Peu, dans la classe politique, pourront en dire autant. Peu ? Moins que peu si ça se trouve. Disons une poignée. Par sa conduite, cet homme d’une franchise bourrue, imposait le respect même à ceux qui ne respectaient rien. Pour preuve, l’extraordinaire histoire que m’a racontée l’un de ses plus fidèles amis. Alors qu’il était dans l’avion d’Air France détourné à Alger par des terroristes en 1995, il vit le plus nerveux des pirates, celui qui avait la gâchette facile, s’avancer vers lui d’un air mauvais. Le malfrat le toise et lui dit : “Vous ressemblez à quelqu’un… n’êtes-vous pas M. Aouchiche ?” Répondre par l’affirmative, c’est s’exposer à la mort à coup sûr, car Aouchiche était un représentant, à sa manière, de cet État que combattait les terroristes. Mentir ? Ce n’est ni dans son style ni dans son caractère. Il n’a pas fléchi sous la torture alors qu’il était au début de sa vie pour s’abaisser dans sa maturité devant ce freluquet armé qu’il aurait bien aimé souffleté. Sans même réfléchir, il dit de sa voix coupante, en regardant bien dans les yeux son interlocuteur : “ Oui, c’est moi !” Et l’autre de se figer au garde à vous comme s’il était devant son supérieur ou son père. Il s’excusa alors pour son ton agressif et murmura : “Je suis le fils de X de Bachdjarah à qui vous aviez attribué un logement…” Et mon ami de me préciser que quelques années plutôt, le père du terroriste est parti guetter aux aurores Aouchiche, devant son travail, pour lui demander un logement. L’homme, chômeur de son état, avait une ribambelle d’enfants et logeait dans un habitat précaire. Voici Aouchiche qui arrive dans son véhicule. L’homme lui fait de grands signes. Le bon samaritain demande à son chauffeur de s’arrêter. Il écoute l’homme. Et lui règle son problème. En lui, trouvant, en plus, un boulot. Un autre que Aouchiche aurait peut être écrasé l’homme, sinon accéléré pour l’éviter. Pas lui. Il appartenait à ce peuple et l’aimait. Vraiment. Et le peuple le lui rendait bien. Le jour de son enterrement, il était accompagné en majorité par les petites gens. D’ailleurs, il leur ressemblait si bien qu’il n’avait même pas de logement à lui. Juste un appartement de fonction mis à sa disposition par l’État. Sur sa tombe, on pourrait écrire en guise d’épitaphe : c’était un honnête homme qui a soulagé beaucoup de souffrances. Un homme d’ailleurs. Un extraterrestre. Depuis Aouchiche, je crois aux extraterrestres…
H. G.
hagrine@gmail.com
10 juin 2011
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