Lundi 14 Mars 2011
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La peinture avant tout
Toujours dans le cadre de son partenariat avec les éditions Acte Sud, l’Aarc a présenté, samedi dernier, le passionnant livre La Tache aveugle d’une artiste singulière, bien originale dans son écriture.
Abolir les frontières entre l´espace et le temps, la fiction et le réel, battre en brèche les clichés fantasmés sur l´idéal classique, être constamment à la tâche, jouer à suggérer la vie, la réinviter, la sublimer partant d´une tache de peinture est l´acte exquis que s´attelle à accomplir cette écrivaine qui se présente comme peintre avant tout. Dans son roman La Tache aveugle (Edition Acte Sud) Emmelene Landon, invitée samedi dernier, à Diwan Abdelatif de l´Agence algérienne pour le rayonnement culturel, dépeint l´histoire farfelue de trois soeurs étudiantes à l´Ecole de beaux-arts de Paris. Comme ce fut le cas pour elle. Elles s´appellent Fanny, Susannah et Diotrime, qu´un tragique accident a rendue aveugle. Ce qu´elles aiment par dessus tout, c´est peindre. Mais par fantaisie et jeu, elles prennent comme professeur mentor, Alexander Cozens, peintre russe du XVIIIe siècle, inventeur d´une célèbre méthode d´apprentissage de la peinture paysagère par tache et son fils, Johns Robert Cozens, peintre, lui aussi, avec qui elles s´improvisent des amours sensuels et charnels. Si Fanny, l´ainée, étonne par sa gestuelle dans la peinture, Susannah, par sa représentation du corps, Diotrime est dans l´abstraction, toutes les trois questionnent la matière comme dans une sorte de quête de langage qui se superpose à celui de l´écriture romanesque qui se veut anamorphose, haute en couleur et éclaté. «L´idée d´écrire un roman, c´est comme un arbre, la forme c´est important aussi», affirme l´écrivaine qui souligne «aimer l´idée de prendre du risque dans son exploration et déambulation en continuel dialogue avec le lecteur». Emmelene Landon avoue ainsi «jouer des certitudes tout en gardant les pieds sur terre avec cette envie d´aller toujours loin dans l´art et les relations humaines», tout comme ces trois soeurs étrangement unies pour une passion commune. Trois jeunes soeurs, la vingtaine, qui n´ont de cesse de brouiller les pistes entre leur vie et études vouées à la peinture et pérégrinations cultuelles à travers les musées, les notes de musique qui les accompagnent jusqu´à se confondre avec elles. Des moments où elle travaillent la matière jusqu´à fondre en elle, repenser le temps jusqu´à l´annihiler ou le matérialiser sous une autre époque. Un roman éclaté, appartenant à la mouvance postmoderniste.
L´auteure confie aimer jouer du temps avec sincérité comme l´était véritablement sa vie d´étudiante qui se donnait entièrement à sa passion émergeant ainsi de plain-pied dans la fin du XVIIIe siècle. De l´humour aussi, du vertige reconnu d´emblée par l´auteur qui se plaît dit-elle «à jongler dans les espaces» tel un prisme déformant perçu tel quel par l´oeil d´un artiste.
Trois soeurs rompues à l´apprentissage de la peinture, tout comme Emmelène Landon sans avoir une idée absolue de la beauté et la pureté, mais voue une fascination incommensurable pour ce «siècle des lumières». Cette confusion ou mélange dans les temps, l´auteure de Tour du monde en porte-conteneurs l´explique en prenant comme exemple un musicien qui ferait ses gammes de notes durant des heures jusqu´à oublier la notion du temps. Hybride culturellement car née en Australie, Emmelene Landon semble être constamment dans la recherche de l´abstraction qui rend un souffle au monde paradoxalement plus de consistance. Bref, ne cherchez pas, l´écrivaine le fait pour vous: «C´est un livre sur une passion artistique». Celui d´un choix de vie consacrée à l´art. De James Joys, à Samuel Becket, de Marguerite Duras à Jean Rolin, son mentor, Emmelène Landon évoque son désir à peine voilé de liberté artistique que ce soit en poésie, en note, en rythme… des mots et notamment la poésie dont elle estime «être le baromètre du langage». En somme la voie vers la «pensée pure»…Auteur également de trois films, notamment des romans: Susanne (Léo Scheeer 2006) et Le voyage à Vladivostok (Léo Scheer, 2007), elle insiste encore sur la priorité de la peinture qui prime sur toute ses créations. Pour son prochain roman, elle révèlera parler d´une voix d´homme pour changer un peu. Une idée née à la suite de ses expos grandeur nature dans un musée. La peinture reste la base dit-elle. Tout n´est que peinture effectivement, y compris dans la fresque humaine. Et Emmelene Landon a bien incorporé ses leçons jusqu´à ses taches qui estime-t-elle ressemblent à des «calligraphies asiatiques». Pas faux. D´une tache et l´imagination, on peut produire des sens à l´infini. Un jeu fort sympathique comme le sont ces trois soeurs fofolles…
7 juin 2011
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