«Ayez le culte de l’esprit critique». Pasteur
Dans les champs politique, économique et médiatique, il y a comme une effervescence, un emballement et la sensation que des appareils déterminants se mettent en ordre de bataille. Les enjeux sont parfois clairement dits, les ambitions froidement affichées et la
succession de M. Bouteflika n’est plus la tabou qu’elle était. Le président de la République en personne a, en quelque sorte, libéré la parole, ouvert le débat autour de chantiers politiques hautement sensibles, y compris sur la constitution, le parlement actuel (sur lequel personne ne mise un dinar, hormis les partis qui le contrôlent et les clientèles de ses périphéries locales), les classements du pays par les agences internationales compétentes, la qualité de la gouvernance, les élus locaux, la corruption etc. Il apparaît clairement que les réformes qui ont vu le jour dans la violence, sur des cadavres dans des pays arabes, ont été intégrées par la société, les formations politiques, la société civile, les élites dans tous les domaines, et ont des réponses plus ou moins lisibles.
Le pouvoir entend engager des réformes et le fait nettement savoir par M. Bouteflika. Les courants les plus conservateurs du régime essaient de faire de la résistance, mais leurs discours sont décalés par rapport aux exigences du pays et celles des grandes puissances suivies par l’ONU et tous ses démembrements. Il y a des classements, des mesures, des mécanismes universels que l’Algérie nolens volens, devant prendre désormais en considération et scrupuleusement. De son côté, l’opposition extrêmement divisée est, dans sa majorité, pour le changement, des réformes devenues urgentes, mais sans être partie prenante dans un éventuel cycle de violences. La société algérienne, pour sa part, traumatisée par une période de déchirements, des milliers de morts, de destructions énormes, qui ressemblait beaucoup à une guerre civile, est lourde de changements profonds, d’une autre république mais entend ne pas se laisser entraîner par des tenants, minoritaires, de la violence, hypnotisés par les modèles tunisien, yéménite, égyptien et éventuellement libyen. Ces «modèles» pas encore conclus coûteraient un prix inouï, inabordable, révulsif au pays. La balle est donc dans le camp du pouvoir pour libérer la société, passer profondément et rapidement à une république inédite, souhaitée par les citoyens et conformes aux standards internationaux de justice, de démocraties, de libertés, de solidarité, de progrès culturel et social, etc.
Dans un paysage politique chaotique où les «insurrections» sociales ne se comptent plus, où les quotidiens du matin dépassent, en nombre, celui de quatre grandes capitales qui ont vu naître les premières gazettes, où les T.V. satellitaires dûment nationalisées par l’Algérie répondent à toutes les demandes délaissées par les pouvoirs publics, terrorisés par la seule idée de voir un grand audiovisuel national (privé/public), rayonner ici et ailleurs, les échecs sont avoués, connus et reconnus. Le premier échec d’envergure est celui des partis qui sont au gouvernement. N’ayant que peu d’ancrage dans la société, sans programme porté à la lecture des citoyens, ils ne peuvent ni anticiper, ni écouter et amortir le déferlement des demandes sociales, culturelles et politiques qui font que le pays ressemble à une cocotte dans laquelle l’eau est arrivée à ébullition. Le deuxième échec retentissant est celui de la communication nationale, au sens large, et celui de l’audiovisuel plus proche de celui de l’ex R.D.A. que de celui d’un pays où la constitution offre une panoplie de droits et de libertés. La sphère économique et celle de l’Education n’en finissent pas de trébucher dans le noir, de multiplier les essais et les transitions, les destructions et la fuite des cerveaux dans tous les secteurs. De son côté, l’opposition n’a pas évolué d’un iota depuis la destruction de l’ex-FIS et des malheurs qui ont fait la décennie rouge sang. Chacun, dans son bunker, campe sur ses positions et épouse les circonvolutions du pouvoir, ses mécanismes autoritaires et la grande durabilité au poste. Sans aller jusqu’à dire que dans beaucoup de cas, le pouvoir et l’opposition sont les deux faces d’une même médaille, l’écart est réduit de manière significative, hautement dangereux pour le pays qui a soif d’espérances, de perspectives politiques, économiques, culturelles, sociétales qui donneraient de la vie et de la chair aux lois, aux institutions, aux partis et à la société civile qui a fait une entrée fracassante dans le paysage national. Plus ou moins organisée, plus ou moins liée à des obédiences, refusant la violence et l’embrigadement local, elle entend exister par et pour elle-même. Ces forces méritent, pour l’intérêt national, d’être elles mêmes.
Parallèlement aux associations adoubées par les gouvernements successifs, au monopole syndical de l’UGTA (héritage de la guerre d’indépendance) aux « familles » constituées en machines électorales et constitutives d’un ordre en chute libre, dans tout le monde arabe, à une myriade de formations dites politiques et de journaux sans aucune utilité sociale, la société civile émergente frappe à toutes les portes. De grands penseurs dans toutes les disciplines ont cerné au fil du temps, à nos jours, les contours, les « missions » et les acteurs de la société civile. Distincte de la classe politique pour laquelle le pouvoir, l’organisation de la société et la régulation des relations à l’intérieur d’un territoire sont l’essence et de l’état au sens moderne, la société civile est une sorte de contre-pouvoir pacifique, une force de propositions pour un vivre ensemble, dans des structures démocratiques où plusieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun «sans amalgame aucun avec les partis, le gouvernement, l’Etat ou les institutions qu’un pays se donne.
Bien entendu, la société civile, en perpétuel mouvement, suscite l’intérêt du politique. Cependant les exemples les plus emblématiques et les plus aboutis dans le monde se trouvent dans les grandes démocraties où l’Etat et le politique cohabitent avec une société civile autonome qui, entre autres, active dans et pour des espaces civiques, citoyens, de médiation hors du politique, en étant un instrument de critique de l’Etat sans chercher à le renverser en la prise du pouvoir. L’année 2011 a vu en Algérie, les forces, le désir, la volonté et les acteurs potentiels, à même de commencer la structuration, le développement et l’ancrage d’une société civile, bien algérienne mais marquée du sceau des codes et normes universels parfaitement codifiés par l’ONU et ses démembrements dont l’Algérie fait partie. On peut supposer que l’ère des manipulations, des achats et ventes en l’état, des prétendues associations grands électeurs est révolue. On peut tout aussi espérer que l’aire de l’action citoyenne est à labourer.
2 juin 2011
Contributions