Le 6 juin 1974, le père du nationalisme algérien, rentre au bercail dans un cercueil. Il décède quatre jours (le 3 juin) auparavant à Gouvieux, dans l’Oise, département du Nord de la France métropolitaine. Dans ses bagages contrôlés aux frontières de la mémoire, des souvenirs en bribes et des interrogations parsemant ses dépouilles.
Ceux qui l’attendaient au seuil de l’aéroport, pétrifiés de ce retour solennel et amnésique, d’un proscrit au destin immortel s’indignaient. Nul révolutionnaire sur cette terre béni, mort ou vivant, ne pouvait dès lors prétendre lui ravir une notoriété prescrite par Dieu et étouffée par les gueux, même dans un linceul.
Messali Hadj n’a jamais été traitre. La traitrise est la vertu des perfides. Elle s’oppose à la morale et aux principes de loyauté à soi, à la nation, au peuple et à tous les sacrifices consentis pour que la liberté de l’Algérie ne soit pas vaine. C’est ce qui fut mené durement, inlassablement et sans interruption par ce monument. L’homme qui consacra sa vie, son œuvre, son temps, ses désirs et ses espérances pour un unique et ultime but : « la libération de l’Algérie ». Cette terre des ancêtres, qui n’était ni à vendre à hypothéquer, avait-il déclaré en 1936 au stade de Belkourt. Cette entorse à l’histoire est un blasphème que nous continuons à payer le prix chèrement aujourd’hui. Ceux qui se sont accaparés la révolution n’en n’on absolument rien fait que de la réduire à sa plus basse échelle.
Nul n’est prophète chez soi. Cependant, il serait trop léger de faire montre d’insolence outrageante en minimisant jusqu’à l’heure, l’œuvre et la vie de ce géant de la mémoire qui dès son jeune âge s’est épris d’un attachement indéniable à sa terre, sa patrie. Il l’a découvre progressivement en s’attachant aux principes fondateurs, d’abord de la commune de Paris, d’où émergea le slogan républicain de la France, « Liberté, fraternité et égalité », plus tard pervertie. Il a toujours cru en la puissance des peuples. Seules sources révolutionnaires capables de briser les chaines de l’ignominie, de lignorance et des inégalités.
Pour briser les barrières dressées par le colonialisme contre les héritiers légaux de cette noble terre, il prendra son bâton de pèlerin et commencera une longue marche. A l’aube de chaque événement, il semait des graines de consciences, réveillant les esprits endormis de nos indigènes encore incertains. Il inscrit à l’encre indélébile, l’histoire du mouvement national. Avec des amis, nourris d’une identité aux racines arabo-musulmane, ils créèrent l’Etoile Nord Africaine, en 1927, espérant unir les forces nord africaines contre l’envahisseur.
Avec Hadj Ali Abdelkader et d’autres compatriotes, Messali Hadj dressera la base d’un programme, bien que plus étendu, se résumant à :
1) L’indépendance totale des trois pays d’Afrique du Nord «Algérie, Tunisie et Maroc»
2) L’unité du Maghreb
3) La terre aux fellahs
4) Création d’une assemblée constituante au suffrage universel
5) La remise en toute priorité à l’Etat des banques, des mines, des chemins de fer, des ports et de tous les services publics que détenaient la France.
Le 10 février de la même année, lors du congrès anticolonial de Bruxelles, il n’hésitera pas à s’indigner dans un discours qu’il prononcera contre le code de l’indigénat et revendiquer haut et fort son attachement à l’indépendance. Fidèle à ses principes de bases, il exposera son programme et résumera ses propos par : « le peuple algérien qui est sous la domination française depuis un siècle n’a plus rien à attendre de la bonne volonté de l’impérialisme français pour améliorer notre sort. » Rien que cela pensaient les détenteurs du pouvoir colonial. Et pourquoi pas les portes de la présidence. L’ENA, fut une prospective qui trainera encore ses pas sans pour autant trouver d’issue favorable depuis sa naissance. L’UMA est dans le comma
La puissance des méthodes de division coloniale des peuples a eu raison de cette première tentative. La lutte du grand Maghreb n’a pas pu se faire. Infatigable et résistant, Messali Hadj ouvre une autre brèche beaucoup plus porteuse. Il unit le peuple autour d’un programme et d’une revendication. Ni le manifeste du jeune algérien, ni les idées assimilationnistes de Ferhat Abbas et encore moins les lamentations des oulémas ne sont venues triompher sur l’acuité et l’intelligence de cet homme incomparable. Au moment ou ils versaient dans le chapitre des quémandes de droits et places au soleil sous l’emprise coloniale, Messali égale à lui-même, attaché aux sources de l’islam et de l’arabité, réclamait toujours et encore la liberté de ce peuple et sa terre.
Dés le 11 mars 1937, date à laquelle certains dirigeants actuels, qui continuent à s’accaparer abusivement le pouvoir du peuple martyr depuis l’indépendance, n’étaient même pas des projets de procréation dans l’esprit de leurs pères, Messali défiait l’autorité coloniale et érigeait son premier espace de revendication, un parti politique digne de ce nom, le Parti du Peuple Algérien (PPA). Le parti qui lui vaudra, la clandestinité et l’emprisonnement à vie. Pas d’assimilation, ni intégration, seul but ultime est l’indépendance. Il fut interdit en 1939 et donnera naissance au plus atroce des massacres qu’à connu l’Algérie depuis 1830. Le génocide de mai 1945. Des militants de grandes envergures furent jetés en prison, torturés, déportés et même coupés en milles morceaux. L’impunité était de mise, les militaires, les milices composées de colons, juifs et maltais, s’adonnaient joyeusement à cette chasse au facies.
En 1947, il fut libéré sous condition. Il récidive et met en place le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), une manière de l’égaliser le PPA. Il faudrait rappeler que le PPA, avait refusé toute collaboration avec le régime de Vichy, bien qu’il soutienne « le manifeste du peuple algérien », qui avait été rejeté par De Gaule. Ferhat Abbas et ses compatriotes s’intégraient déjà dans la quatrième république, tout en s’appropriant sous couvert de l’Union Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA), des places à l’assemblée algérienne. Il remportera onze des treize sièges qu’offrait le pouvoir coloniale aux indigènes intégrés.
Fort de sa représentation populaire à la base, le MTLD, s’accapare à son tour d’une majorité des sièges aux élections municipales. Il devient dès lors la cible privilégiée des autorités coloniales. U n péril à éliminer. Et pour les éradiquer, elle avait recours à la fraude massive, aux emprisonnements et aux intimidations. Trente-six des 59 candidats du MTLD seront arrêtés. S’ouvre alors l’ère de l’organisation spéciale. Cet enfant chéri du PPA, fer de lance de la révolution. L’organisation prends de l’ampleur, elle dessinera progressivement ses plans d’attaques et de défense et se préparera au grand jour. Juste pour mémoire, en mars 1949, Hocine Aït Ahmed, membre de cette organisation secrète, organise le cambriolage de la poste d’Oran qui leur rapporte 3 070 000 francs. Cet argent sera le début du trésor de guerre du FLN.
L’usurpation de l’histoire
Des mémoires s’ouvrent aujourd’hui pour ramasser le reste des pièces manquantes de l’histoire d’une usurpation des rôles. De nouveaux témoignages attendus, attesteront progressivement du tort commis contre cet homme qui endurera plus de souffrances que celle supportées par Nelson Mandela. Inversement, si ce dernier été pénard dans sa cellule le long de deux décennies, Messali, subissait les coups et contrecoups de l’internement, la déportation, l’emprisonnement, l’humiliation, la séparation et pour finir l’exil, la proscription, et le manque de reconnaissance émanant amèrement de sa propre fief.
Il serait prétentieux de pouvoir résumer en quelques lignes toute la grandeur du combat libérateur. Réécrire l’histoire entière de ce pays en berne, sous la lumière Divine, nécessiterait des tonnes et des tonnes de chiffres et de lettres, des heures de labeur mobilisant toute une armée de scribes. Il serait, par ailleurs, dommage et inopportun d’esquiver le poids et la mesure qui s’imposent à l’occasion. Avec une vie tourmentée et des œuvres incontestables, le père de l’ENA, du PPA, du drapeau algérien, du MTLD, de l’OS, du CRUA et du MNA, ne pèserait pas lourdement face à une seule et unique formation circonstancielle, le FLN, venant usurper la primauté de l’œuvre. Se serait une offense à la morale et à la vérité.
Pour reprendre l’expression de notre moudjahid, Arezki Basta, qu’il livrera prochainement dans un des ses témoignages, « la guerre de libération a été déclenchée en mars 1954, le jour du conflit entre Messali et les centralistes ». Messali a été le premier à défendre l’idée que couvait Larbi Ben M’Hidi : «mettez la Révolution dans la rue le peuple la portera». C’est ainsi que débuta la véritable histoire de la lutte de libération nationale, née par césarienne, d’un conflit entre le chef et ses dirigeants. Après le retrait inattendu de la Tunisie et le Maroc du combat maghrébin, en 1952, pour se consacrer chacun à son propre sort, (deux protectorats et une colonie), en résidence surveillée, Messali se voit refuser par les membres de son bureau l’idée d’une action directe.
Les réfractaires « centralistes », choyés par Jacques chevalier, abandonnèrent le parcours pour se consacrer aux bas intérêts primitifs de la vie. Après moult tentatives pour les convaincre à reprendre le chemin déjà parcouru, il sera contraint de livrera à la base, qui prendra position avec lui, le secret du conflit. D’ailleurs, le tract du patriote, rédigé par Boudiaf et Bittat témoigne de la déliquescence du revirement usurpateur des véritables rôles de chacun.
L’histoire, le vrai est en marche. Tel un tsunami dévastateur des usurpations, elle vient grâce à Dieu, balayer autour de nos portes cachères, celles de nos ennemis et des transfuges qui gangrènent l’idéal sacrifice pour lequel nous n’avons même pas eu droit de vivre plus longtemps avec nos pères, oncles, et aïeux. Ecouter leurs mémoires nous raconter leurs gloires. Ils n’avaient pas droit de cité. Des tombes oubliées et des martyrs vivants. Tel est le sort réservé par les arrivistes aux véritables hommes qui façonnèrent notre histoire. La vérité arrive .
Une révolution injuste
Les révolutions sont faites par les grands et n’en profitent qu’aux petits. Face à l’opulence des uns et l’outrecuidance des autres à user des biens du peuple comme en use de ses propres acquis, mal acquis, l’Algérie souffre aujourd’hui le martyr d’une spoliation de la mémoire et d’une confiscation de son histoire. Comment faire face à nos enfants, interrogatifs et curieux de savoir qui avait été qui et qui avait fait quoi. Qui a conduit cette libération et qui a réclamé sa paternité. Et dire pour reprendre l’expression d’un philosophe que : « la victoire à 100 pères et la défaite est orpheline ». La libération de l’Algérie n’a pas étalé ses biens faits équitablement à l’ensemble de ses enfants. Elle a par contre consacré le principe cher à la colonisation, « les deux collèges : la famille révolutionnaire et les enfants éternels de chouhada et des moudjahidine en opposition au peuple. Est-ce un droit d’ainesse ou une autre forme d’usurpation qui n’en profite qu’aux incapables. Nous sommes tous des enfants de moudjahidine ayant des oncles et des proches martyrs. Ceci ne nous autorise nullement, en bon musulman, d’usurper un titre pour lequel nous ne tirons aucune gloire ni profit. Car dit l’adage : « être soi même, c’est se prévaloir de ses propres acquis, non faire commerce illicite de ceux de ses parents ».
Messali a été enterré dans un bain de foule inégalable. La famille n’a même pas eu droit à un avis de décès annonçant son inhumation à Tlemcen. Ils sont pourtant venus de partout lui rendre un dernier hommage. Les jeunes et les moins jeunes, lui faire allégeance de fidélité et de reconnaissance pour son œuvre, son sacrifice et son engagement militant et loyale pour la libération de cette nation. Ne mérite-t-il pas le titre de moudjahid et martyr de la révolution à la place et lieux des milliers d’usurpateurs qui continuent à s’amasser dans les arcanes de la politiques munis d’une attestation communale déclarant leur fausse identité.
Je conclurais par cette belle et éloquente expression d’Yves Dechezelles, avocat et ami de Messali le décrit dans ses dernières années : «Le vieil homme suivait toujours avec attention passionnée le déroulement des événements à travers le monde, bien que le sort l’ai placé si loin du pouvoir. Mais de la grandeur de ses luttes et de ses épreuves, il avait tiré la philosophie. A la bonhomie malicieuse, au détachement ironique, il savait ajouter pour quelques uns de ses visiteurs, le sourire confiant et complice de l’amitié.» Il serait temps de rendre à César ce qui lui appartient et aux usurpateurs la place qu’ils méritent.
*Président de la Fondation du 8 mai 45
2 juin 2011
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