Par 07/08/2010 10:08:00 |
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Dans son dernier ouvrage, Elias Sanbar, brillant intellectuel palestinien, né à Haifa aujourd’hui ville israélienne, nous livre des textes d’une facture remarquable, écrits dans une belle langue, fluide, littéraire, maniant avec bonheur l’humour, l’auto-dérision et la poésie: articles, mini-essais, réflexions,
récits autobiographiques. Un dictionnaire amoureux de la Palestine, c’est-à-dire un livre à la fois subjectif et encyclopédique. Dire la Palestine, à travers les lettres de l’alphabet, dire surtout la Palestine réelle, « démystifier un pays ». Le choix de la forme épouse selon lui parfaitement la structure et la géographie palestiniennes, éclatées, éparpillées, multiples.
La Palestine c’est un simple pays. L’histoire en a fait le lieu tragique d’un conflit qui dure depuis des décennies. Deux thèmes traversent ce dictionnaire: l’absence et la disparition. D’ailleurs, c’est avec l’article « Absence » que nous entrons dans le vif du sujet. L’absence ou plutôt « l’injonction d’oubli ». La Palestine a été effacée en 1948 . Elle a tout simplement disparu, comme terre, comme pays, comme peuple, comme nom. Une terre sans habitants, une terre vide. La Palestine gommée, les Palestiniens ont été sommés d’oublier le passé, de « s’intégrer » dans les pays arabes qui les accueillent. Après tout, ce sont des Arabes.
Plus de quatre cent villages détruits, les noms des villes transformés, l’histoire falsifiée. Pendant un demi-siècle, il a fallu reconquérir un nom, un histoire, chercher une « visibilité », une existence, mise à mal par « cette incroyable machine à fabriquer de l’absence » qu’est Israël. Prononcer le nom de « Palestine » prenait valeur de résistance. Le dictionnaire rend compte de cette quête de visibilité qui a permis aux Palestiniens de sortir de cette assignation à l’oubli. De reconquérir un nom. Sanbar dit avoir trouvé dans cet exercice « un beau territoire » où raconter sa Palestine, un territoire aux multiples échos qui fourmille de références.
Il évoque les rencontres qui ont jalonné sa vie, en particulier Mahmoud Darwich, « le bel ami aujourd’hui disparu » dont la présence et la poésie l’accompagnent. Le poète, à l’étroit dans cette terre,qui faisait lever les foules quand il déclamait des vers était en quête de « l’immensité universelle » afin de mieux retrouver et dire sa Palestine. Cette quête d’universalité, Sanbar l’aborde longuement à travers sa propre trajectoire d’exilé. Loin de considérer l’exil uniquement sous l’angle de la perte et de la souffrance, il s’en est emparé et en a fait une force, une incroyable « chance ». Car l’exil peut aussi être ouverture sur le monde. Il peut « devenir jubilation qui vous apprend une forme de liberté ». A condition de ne pas se laisser emprisonner par la nostalgie et la douleur de la perte.
D’ailleurs, nombreux sont les Palestiniens qui ont pu voyager, découvrir le monde, apprendre plusieurs langues du fait de cet exil forcé et du même coup prendre de la hauteur par rapport à un certain rapport à la nation: « dira-t-on jamais combien l’appartenance à une seule nation, la vie avec la pesanteur des pays établis peut plomber le sentiment de l’appartenance à l’espèce entendue dans son acception la plus universelle, celle des humains? »
De poésie, d’universalité, il en sera question tout au long de cet ouvrage, généreux comme un viatique, tendre comme une déclaration d’amour.
De religion, aussi bien sûr. Elias Sanbar, de culture chrétienne, décrit un aspect de la religiosité palestinienne, un peu méconnu, notamment ce « christianisme de proximité » qui l’amène à considérer le Christ comme un personnage familier, « le fils du voisin », né et élevé dans le même univers, les mêmes paysages. Car cette terre de Palestine, mystique, sainte entre toutes, est aussi pour les Palestiniens, un pays comme les autres, fait de « ciel et de terre ». Un pays concret. Un pays réel. Un pays où Darwich rêvait qu’un jour, il pourrait, assis sous un figuier, parler avec son ami « du temps qu’il fait et des nuages qui passent ».
Keltoum Staali
Dictionnaire amoureux de la Palestine
Elias Sanbar
Dessins d’Alain Bouldouyre
Plon
24,50. 496p
2 juin 2011
1.LECTURE