Dans Hommes célèbres du Maghreb central, troisième et dernier essai de sa passionnante trilogie, Fatima-Zohra Bouzina-Oufriha poursuit son exploration de l’histoire de l’Algérie. Un véritable travail de défrichement au demeurant.
Sur sa lancée, l’auteur nous livre une histoire de l’Algérie ancienne et contemporaine essartée de toutes les scories, des strabismes et des contrefaçons qui en rendaient la vision opaque et la lecture illisible. Les six hommes illustres dont elle traite ici de la vie (et/ou de l’œuvre) sont autant de phares qui éclairent la route du navire, son commandant tenant adroitement le gouvernail pour conduire le voyageur (le lecteur) à bon port. Ces six personnages ont un point commun, quoique ayant existé à des époques différentes : Tlemcen est leur ville de ralliement. Ils en sont natifs, ou alors ils y ont vécu et travaillé. Leur nom, en tout cas, mérite de figurer au panthéon de l’histoire de la cité des Zianides et c’est à ce titre que Fatima Zohra Bouzina-Oufriha leur rend un vibrant hommage. A commencer par cheikh Abdelkader Mahdad, son professeur d’arabe au lycée de Tlemcen et sans qui l’auteur ne serait pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Agrégé d’arabe, polyglotte, spécialiste de l’Espagne musulmane, à la fois homme de lettres et militant nationaliste de la première heure, il fut un père spirituel pour son élève. Et c’est grâce aux cours de cheikh Mahdad (1896-1994) que va se nouer sa relation forte «à l’histoire de l’Algérie et du Maghreb en liaison en particulier avec celle d’El-Andalous, revisitée par ce grand maître». Car il s’agit bien d’un authentique éducateur, dont la rencontre allait influer sur le futur parcours intellectuel de Fatima Zohra Bouzina-Oufriha et de son écriture d’une histoire véritablement dépoussiérée et (enfin !) algérienne. Le deuxième personnage emblématique, lui aussi «le produit d’une culture citadine traditionnelle», est beaucoup plus célèbre que le premier, quoique chacun ayant son mérite. Et pour cause, il n’est autre que Messali Hadj, «le père fondateur de ce mouvement (national) et son leader charismatique et vénéré, avant d’en être écarté dramatiquement et gommé de la mémoire nationale ». Dans son essai, l’auteur évite le piège de la polémique et des débats stériles autour de Messali ; elle préfère lui rendre hommage en tant que «symbole d’une modernité non déstructurante». Avec du recul, elle peut même affirmer qu’il est aux antipodes de la culture actuelle malheureusement «négatrice de toute l’histoire concrète de notre pays». Et parce que «Messali Hadj constitue un pur produit de la citadinité et de l’urbanité tlemcéniennes», il fut comme un rempart contre toute dépersonnalisation des Algériennes, souligne Fatima-Zohra Bouzina- Oufriha. Cet autre personnage hors pair dont elle nous dresse le portrait tout en nous racontant l’extraordinaire épopée a pour nom Sidi-Mohamed Ben Abdelkrim El-Maghili. Celui-ci était l’une des figures les plus représentatives, fin XVe et début du XVIe siècles, de l’action civilisationnelle du Maghreb vis-à-vis du «Bilad Es-Soudane ». Hélas, cet homme d’une envergure exceptionnelle reste méconnu chez nous. Et pourtant, il était un saint, un savant, un écrivain, un guerrier et conseiller des princes. «El-Maghili a joué un rôle capital dans la propagation de l’islam au Mali, au Niger jusque et y compris au pays Shongaï (actuel Nigéria)», rappelle l’auteur. Au Nigéria notamment, il fut «le fondateur de la première université musulmane, en pays haoussa et plus exactement à Kano», fait-elle observer. En plus d’être un ardent défenseur et propagateur de la Tariqa Qadiriya en Afrique subsaharienne, El-Maghili s’est aussi distingué par son action dans la région du Touat. Celle-ci, lieu de passage obligé des caravanes, avait comme principaux pôles Adrar et Tamentit, et était un foyer culturel intense. El-Maghili y vécut quelques années, le temps de mettre en échec «la mainmise des juifs du Touat sur le trafic caravanier» et leur essor économique. On ne peut évidemment rendre par le détail tous les faits rapportés par Fatima-Zohra Bouzina- Oufriha. Les vérités historiques et documentées qu’elle expose ensuite sur Ibn Khaldoun, Aboli et Sidi Bouabdellah sont de la même veine. Elle les raconte en restituant l’ambiance et le contexte des différentes époques où ces hommes célèbres se sont illustrés, avec références et citations documentaires à l’appui. Tout cela dans le souci de nous proposer une lecture de l’histoire et des analyses pointues révélatrices d’une honnêteté intellectuelle jamais démentie. Mieux encore, elle parvient à nous faire partager sa passion (son coup de foudre) pour tous ces personnages mythiques et pourtant si réels, son style d’écriture à la manière d’une conteuse les rendant tellement attachants. Une trilogie vraiment agréable à lire, surtout très instructive et regorgeant d’une multitude de vérités historiques qui ne pourront qu’aider le lecteur à se réconcilier avec son histoire et sa culture. Aussi, nous en conseillons vivement la lecture. Fatima-Zohra Bouzina-Oufriha est née à Tlemcen où elle a vécu son enfance et son adolescence. Elle est professeur agrégée en sciences économiques, licenciée en sociologie et en histoire, consultante nationale et internationale. Aujourd’hui à la retraite, elle se consacre à l’écriture.
Hocine T.
Fatima-Zohra Bouzina-Oufriha, Hommes célèbres du Maghreb central, éditions Dalimen, avril 2011, 172 pages.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/05/28/article.php?sid=117727&cid=16
28 mai 2011
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