Pauvres Bahreinis ! Plus que les Yéménites dont on parle encore un peu ou des Syriens dont on commence enfin à parler, ils sont les grands oubliés du Printemps arabe. Très peu d’informations les concernant circulent. La presse internationale ne leur consacre que quelques brèves tassées en bas de colonne et même Al-Jazeera
» qui joue le rôle de révolutionnaire en chef pour ce qui est de la Libye » préfère détourner ses caméras de la petite île, propriété de la dynastie des al-Khalifa. A Manama, le monument de la place de la perle une arche à plusieurs anses avec une perle au sommet a été détruit depuis plusieurs semaines tout comme plusieurs mosquées chiites accusées d’abriter des activités subversives. Le message est clair : circulez, il n’y a plus rien à voir.
L’ordre règne En début de semaine, un tribunal spécial a confirmé en appel la peine de mort pour deux chiites reconnus coupables du meurtre de deux policiers pendant les manifestations qui ont ébranlé le royaume de mi-février à mi-mars. Le même tribunal a en revanche commué en détention à perpétuité la peine capitale à laquelle étaient condamnés deux autres personnes. Quelques jours plus tôt, neuf chiites, dont un religieux, ont été condamnés à vingt ans de prison par la justice d’exception. La répression contre les manifestants a été et reste féroce. Etat d’urgence, des centaines d’arrestation, des militants torturés, des blessés arrachés à leurs lits d’hôpital, des journalistes harcelés, des journaux menacés de fermeture : la brutale et sinistre panoplie des dictateurs arabes s’est déployée en toute tranquillité pour que cesse la contestation.
On l’a peut-être oublié, mais dans les années 1990, ce qui n’était alors qu’un émirat (Bahreïn est un royaume depuis 2002) figurait déjà dans la liste des pays peu respectueux des droits de la personne humaine. A l’époque, comme aujourd’hui, la majorité chiite appelait la dynastie sunnite à démocratiser la vie politique et à garantir l’égalité de droits pour tous, quelle que soit la confession religieuse. Rappelons au passage qu’Amnesty international avait alors dans sa ligne de mire plusieurs ressortissants britanniques, accusés de diriger la répression et la torture contre les contestataires bahreinis. Parmi eux, l’écossais Ian Henderson, personnage sinistre qui s’était d’abord fait la main durant la répression de la révolte des Mau-Mau au Kenya et qui a dirigé ensuite d’une main de fer le terrible State Intelligence Security (SIS), les services secrets de l’émirat.
Comme aujourd’hui, la propagande du régime sunnite se bornait alors à accuser l’Iran de tirer les ficelles en manipulant la majorité chiite (80% des Bahreïnis sont chiites ce qui pousse la monarchie sunnite à encourager la naturalisation de nombreux sunnites étrangers dont des Jordaniens et des Pakistanais). Actuellement, cette thèse de la main de l’Iran est servie en permanence dès lors qu’il s’agit d’analyser les événements de la place de la perle. Tout n’aurait été qu’une immense manœuvre destinée à abattre la monarchie et à permettre à l’Iran d’annexer Bahreïn. Il est vrai que le régime des Mollahs mais c’était aussi le cas pour celui du Shah n’a jamais cessé de revendiquer sa souveraineté sur cette île. En 2009, une crise diplomatique a même alourdi le climat entre Téhéran et Manama après que plusieurs ministres iraniens eurent déclaré que Bahreïn était «une province iranienne».
La haine du chiisme chez de nombreux sunnites à l’image des diatribes quasi-quotidiennes que l’on entend sur certaines télévisions du Golfe à commencer par celles de l’Arabie Saoudite -, et la détestation du régime iranien en Occident sont deux facteurs qui expliquent pourquoi les cris de colère du peuple bahreïni sont étouffés. Plutôt que d’écouter ses revendications pour plus de droits, pour une meilleure justice sociale et pour le respect de sa dignité, on feint, en Occident comme dans le Maghreb ou dans le reste du monde arabe, de croire qu’il s’agit d’une guerre confessionnelle attisée par l’Iran.
C’est oublier que de nombreux sunnites bahreinis ont soutenu cette révolutions des perles. C’est oublier que les chiites bahreinis sont, dans leur grande majorité, attachés à leur pays et, surtout, à leur arabité, et qu’ils n’accepteront jamais de vendre leur pays aux pasdarans. C’est oublier que des hommes et des femmes qui manifestent pour réclamer leurs droits méritent mieux que d’être considérés comme de dangereux complices du régime des mollahs. On ne peut s’enthousiasmer pour la Tunisie et l’Egypte et être du côté des persécuteurs dans le cas de Bahreïn.
Malheureusement, il est évident que ce pays n’a pas son destin en main. Il y a d’abord l’Arabie saoudite qui n’acceptera jamais qu’un pouvoir chiite s’installe à ses frontières. C’est bien pour cela que Riyad a envoyé ses troupes à la mi-mars pour aider à mater la contestation. On sait que le régime wahhabite n’a pas admis que la majorité chiite prenne le pouvoir en Irak. On sait aussi qu’il craint que sa minorité chiite laquelle vit dans la partie orientale du pays, là où se trouvent les grands gisements pétroliers ne commence à se dire que l’heure est venue pour elle de réclamer ses droits. Voilà pourquoi on peut penser que rien ne changera à Bahreïn et dans le reste du Golfe tant que le statu quo politique perdurera en Arabie Saoudite.
Il y a aussi les Etats-Unis dont Bahreïn accueille le siège de la Vème flotte. Pas question, pour Washington, de permettre à un allié potentiel de Téhéran d’y prendre le pouvoir. Pour autant, il faut lire avec attention le dernier discours d’Obama à l’adresse du monde arabe. On sent ainsi que le président américain exerce une pression pour que la monarchie renoue le dialogue avec l’opposition. On devine aussi que Washington ne veut pas insulter l’avenir en se coupant de la majorité chiite. Un jour, le régime iranien finira par changer et, comme en Irak, rien ne dit qu’il ne se rapprochera pas des Etats-Unis. A ce moment-là, une monarchie sunnite minoritaire en son propre pays sur le plan confessionnel ne servira plus à rien
Reste enfin le grand monde de la finance. On l’oublie trop souvent, Bahreïn est bien la première place financière de la région, loin devant Dubaï ou Doha qui n’arrivent pas encore à jouer dans la même cour. Banques islamiques ou commerciales, succursales de grands établissements, gestion d’épargne : dans tous les cas, l’argent parfois gris – placé à Manama n’aime pas les turbulences. Voilà une raison supplémentaire qui explique cette honteuse conspiration du silence qui entoure la révolte des Bahreïnis. Mais une chose est sûre, la monarchie n’a gagné qu’un répit. Tôt ou tard, la place de la perle sera de nouveau réinvestie et des poings s’y dresseront pour réclamer la justice et la liberté.
26 mai 2011
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