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Le vent chaud du changement par Abdelkader Mazouz

26 mai 2011

Contributions

Le vent du changement souffle sur ce continent. Que nous le voulions ou non, cette poussée de la conscience nationale est un fait politique. Harold MacMillan, 1960.

Le discours appelé «Wind of-Change» donné par le Premier ministre britannique Harold Macmillan le 10 janvier 1960 à Accra puis devant le Parlement sud-africain le 3 février de la même année au Cap, était une sorte de «Je vous ai compris» adressé aux mouvements indépendantistes de l’Afrique sub-saharienne qui avaient défrayé la chronique mondiale durant les années 50. Le discours de MacMillan indiquait clairement que son gouvernement prévoyait d’accorder dorénavant l’indépendance à une grande partie de ses colonies africaines, ce qui eut effectivement lieu dans les années 1960. Ces mouvements pour la liberté et la dignité eurent beaucoup d’échos dans le reste du tiers-monde ainsi qu’aux Etats-Unis où le mouvement des droits civiques des Noirs avait pris de l’ampleur durant les années 60, sous l’impulsion de figures charismatiques comme le pasteur Martin Luther King Jr. ou Hadj Malcom X.

Ce mouvement revendiqua le droit de vote, la déségrégation et l’emploi des minorités. Il prôna la doctrine de désobéissance pacifique comme stratégie de lutte tout en maintenant la pression haute sur les gouvernants. Il était parvenu à hisser le niveau de la contestation des sphères purement politiques et économiques à celles de la morale et de la conscience. Pour M. Luther King, la ségrégation raciale constituait le drame de toute une nation qui aurait perdu ses repères. Il souligna que le recours à la désobéissance civile était justifiée face à l’injustice à laquelle ils étaient victimes, mais que chacun avait «la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes» mais de façon pacifique. Pour le leader noir, «une injustice où qu’elle soit est une menace pour la justice partout». Il adopta la doctrine de non-violence et resta opposé jusqu’à la fin de ses jours à la radicalisation du mouvement Afro-américain. Il fut persuadé que «les émeutes ne règlent rien» et qu’une guérilla à la Che Guevara n’était, en fait, qu’une «illusion romantique». Il croyait sincèrement que la violence était préjudiciable à la cause défendue car elle débouchait inévitablement sur le cycle violence-répression :

«L’ultime faiblesse de la violence est que c’est une spirale descendante, engendrant la chose même qu’elle cherche à détruire. Au lieu d’affaiblir le mal, elle le multiplie. En utilisant la violence, vous pouvez tuer le menteur, mais vous ne pouvez pas tuer le mensonge, ni rétablir la vérité. En utilisant la violence, vous pouvez assassiner le haineux, mais vous ne pouvez pas tuer la haine. En fait, la violence fait simplement grandir la haine. Et cela continue… Rendre la haine pour la haine multiplie la haine, ajoutant une obscurité plus profonde à une nuit sans étoiles. L’obscurité ne peut pas chasser l’obscurité : seule la lumière peut faire cela. La haine ne peut pas chasser la haine : seul l’amour peut faire cela.»(1)

Les pacifistes noirs américains furent influencés par le modèle de lutte adopté par le leader charismatique Indien, Mohandas Gandhi, reconnu comme le précurseur du recours à la non-violence comme tactique de lutte contre le colonialisme britannique. Ghandi joua un grand rôle dans le processus d’indépendance du sous-continent indien et d’autres parties du monde. Cependant, ni les contextes socio-historiques, ni les acteurs politiques en opposition et ni les buts recherchés dans la lutte à la fois chez les Indiens et les noirs américains n’étaient semblables. D’une part, le mouvement noir américain réclamait la liberté, la légalité, la justice et un assortiment de droits civiques pour la minorité des afro-américains qui ont remarquablement contribué à l’Independence, l’édification et au progrès de la nation américaine. D’autre part, le mouvement Indien réclamait le droit à l’auto-détermination d’une majorité d’Indiens qui souffraient dans la pauvreté, l’ignorance, le sous-développement et l’exclusion sous un régime colonial étranger de type aristocratique. Cette différence de taille fut perçue par les leaders noirs américains. M. Luther King tenta de rééquilibrer sa stratégie de lutte non-violente lorsqu’il affirma que la fin ne pouvait justifier les moyens contrairement à la formule consacrée de Nicholas Machiavel [79] :

«J’ai toujours prêché que la non-violence demande que les moyens que nous utilisons doivent être aussi purs que la fin que nous recherchons. J’ai essayé de rendre clair que c’est mal d’utiliser des moyens immoraux pour atteindre une juste fin. Mais je dois affirmer maintenant que c’est aussi mal, voir pire encore, d’utiliser des moyens moraux pour préserver une fin immorale.»(2)

Cctte déclaration de M. Luther King semblait être plus un avertissement aux autorités américaines qu’une concession à l’aile radicale du mouvement contestataire noir animée alors par Stokely Carmichael, président du SNCC (Student Non-Violent Coordinating Committee ou Comité Estudiantin de Coordination Non-Violente). Le groupe de jeunes militants noirs montèrent au créneau en réclamant ouvertement un «pouvoir noir» (Black power). Ils ne pouvaient supporter d’être traités en citoyens de troisième classe et d’accueillir avec des fleurs les agents du FBI qui souvent les brimaient sans ménagement. Leurs leaders avaient été constamment harcelés, dénigrés et traités de démagogues hypocrites par des hommes politiques et des médiats américains racistes. Les Noirs réclamaient, autant que le reste des minorités sociales, une société égalitaire et démocratique, d’un véritable melting-pot dans lequel viendraient fondre les différences raciales, culturelles et cultuelles. La Déclaration d’indépendance ne stipulait-elle pas clairement que «tous les hommes sont nés égaux» et que les gouvernements tenaient leur légitimité et leurs pouvoirs «du consentement des gouvernés». Ces principes égalitaires avaient été, selon eux, tout simplement bafoués.

Lassés de quémander la philanthropie et la mansuétude des blancs, ils décidèrent de prendre leur destin entre leurs propres mais et s’engager sur le chemin de la révolte. Carmichael encouragea des actions directes et fortes sur le terrain car dit-il «attendre a presque toujours signifié jamais». L’agitation noire des années 60 fut l’expression de cette lassitude d’attendre des réponses claires et au mieux des gestes concrets de l’administration américaine sous la présidence de Lyndon B. Johnson qui était plus préoccupée par la sale guerre du Vietnam. L’histoire les conforta dans leur choix dans la lutte pour leurs droits civiques. Le modèle de la résistance non-violente adopté par Martin Luther King Jr et Malcom X avait atteint sa limite, s’avérant inefficace. Ils s’étaient donc résolus à «arracher» leurs libertés et droits par l’usage de la force. Une série de manifestations éclatèrent à travers le pays de l’Oncle Sam (et aussi de l’Oncle Tom) et gagnèrent plusieurs villes américaines, de la Floride à la Californie. Considérées comme illégales, ces manifestations, pacifiques au départ, se terminèrent par des échauffourées avec la police locale qui usa de chiens et de jets d’eau pour disperser les manifestants. La tension atteignit son paroxysme.

Burn, Baby Burn ! (Brûle, Chérie, Brûle !)

Dans les villes du Nord et de l’Ouest, la recrudescence de la violence devenait préoccupante. Les affrontements du quartier de Watts dans les faubourgs de Los Angeles (Californie) en Juillet 1965, avaient duré six jours. Il en résulta de sévères dégâts matériels dans la ville, de nombreux blessés et des arrestations de manifestants noirs qui scandaient le fameux slogan «Burn, Baby Burn !» à l’endroit de l’Amérique brûlant sous les feux de la violence urbaine. Ces cris secouèrent fortement la conscience américaine qui venait de réaliser que tout n’allait pas bien dans le melting-pot. Il convient de remarquer, toutefois, que le malaise social aux Etats-Unis n’était pas l’apanage de la population noire seulement car ces mêmes cris avaient été lancés par les couches sociales les plus défavorisées de la population blanche, celle que William Graham Summer appelait les «laissés-pour-compte» du capitalisme ultra-libéral américain.

La jeunesse américaine, toutes races confondues, alors désemparée, désorientée et désillusionnée, commençait à perdre sa foi en le rêve américain sérieusement ébranlé, un rêve qui avait tant bercé des générations entières, de Thomas Jefferson à John Fitzgerald Kennedy.

A l’ère du twist et du Rock&Roll, bon nombre de jeunes déprimés, s’adonnèrent à toutes sortes de stupéfiants, scandant des slogans bizarres tels que l’institution d’un pouvoir… par la drogue (Flower Power), une revendication farfelue qui bousculait, néanmoins, les valeurs morales américaines. Les plus branchés d’entre eux joignirent des groupes de musique protestataire ou simplement dansèrent sur le rythme de «I can get no satisfaction» (Je ne suis pas satisfait) après avoir trinqué à la santé de l’American Way of Life nouveau (mode de vie américain).

Les nombreux cris de révolte, signes d’une société en crise, avaient été traduits, de façon moins dramatique, à travers une caricature publiée probablement dans le magazine américain Time du 30 Août 1965. Le dessin humoristique illustrait parfaitement le désenchantement de cette jeunesse écartelée entre un isolationnisme confortable et un engagement militaire au Vietnam au nom d’un nationalisme débridé. L’on y voyait un jeune Beatnik aussi maigre qu’un clou et un capitaliste joufflu et ventru tirant sur un gros cigare, côte à côte, contempler une vue panoramique de la baie de New York, symbole du l’utra-capitalisme libéral. La bulle du jeune disait «Burn, Baby Burn,» celle du capitaliste affichait «Love it or Leave it» (Aime le ou Quitte le). En langage algérien cela aurait donné «Hani Rohek Wala Galaa» (Tiens toi à carreau ou prends le Radeau !) ou encore «Belaa Wala Galaa» (Ferme la ou casse toi !), un langage qui, du reste, n’est pas spécifique à l’Algérie mais se tient aussi dans la plupart du monde africain et arabe (les pays de l’ex-bloc de l’Est et une bonne partie des pays de l’Amérique Latine ont, à leur avantage, appris à mieux s’insérer dans le monde moderne après la chute du Mur de Berlin en démocratisant leurs systèmes politiques).

Cette expression vue comme provocatrice du côté des blancs fut attribuée à un disc-jockey d’une radio Rhythm & Blues du nom de Nathaniel Magnificent Montague co-auteur avec Bob Baker d’un ouvrage intitulé : «Burn Baby Burn: The Autobiography of the Magnificent Montague.» (Brûle Chérie, Brûle : L’autobiographie de Magnificent Montague). Sous la pression du directeur de la station de radio, le disc-jockey, Magnificient, fut contraint d’abandonner son slogan populaire au moins durant les émeutes de Los Angeles et le remplacer par «Have Mercy, Los Angeles!» (Los Angeles, Pitié ! ). Des décennies après, le groupe punk pop or rock alternatif d’Irlande du Nord, Ash, immortalisa cette expression dans une belle chanson portant le même titre à savoir «Burn, Baby, Burn !» enregistrée en 1999 et dans laquelle le groupe exprima la déprime et la désillusion d’une jeunesse (européenne) déboussolée en quête de nouveaux repères.

Les émeutes se succédèrent et se ressemblèrent. Celles de 1967 eurent l’air beaucoup plus d’une rébellion contre l’autorité qu’une révolte contre l’injustice. A Détroit (Michigan), une ville qui tenta malgré tout de favoriser le cosmopolitisme et faciliter le dialogue des races ne fut pas épargnée par la vague de contestation violente. Mais les heurts les plus spectaculaires eurent lieu en juillet de la même année à Newark (New Jersey), entre des jeunes manifestants noirs infiltrés de loubards et les éléments de la Garde nationale et la police locale. Ce fut un véritable désastre : beaucoup de casse et des blessés. La flambée de violence s’étendit à des villes aussi éloignées que Tampa (Floride), Cincinnatti (Ohio) et Minneapolis (Minnesota). Des appels pour une révolution furent lancés par radio par des noirs réfugiés à Cuba. La nation américaine était prise dans l’étau de la violence interne et l’engrenage de la guerre du Vietnam. Qu’en est-il aujourd’hui des révolutions du printemps arabe ?

LE PRINTEMPS EST CHAUD, COMMENT SERA L’ETE?

C’est dans un climat de grandes turbulences que les pays du monde arabo-musulman évoluent aujourd’hui. Les terribles bouleversements qui ont ébranlés la Tunisie, la grande Egypte, et maintenant le Yemen et la Djamahirya Libyenne et peut être d’autres encore, ont offert exactement l’envers du décor de ce qui se passa aux Etats-Unis durant les années 60 : dans cette partie du monde arabe, ce sont les dictateurs déchus de ces même pays qui ont cherché à «brûler» leurs pays respectifs tandis que leurs peuples leurs criaient à la face «Irhal ! Irhal» («Dégage !» ou comme dans la chanson «leave it !»), ironie du destin ou caprice de l’histoire.

Le singulier colonel Kaddafi, le citoyen-empereur ainsi que son gosse Saif, n’avaient pas caché leurs intentions de mettre leur pays à feu et à sang, comme dans la chanson, par «amour» de ce pays et… aux milliards de dollars qu’engendre chaque année les revenus pétroliers que l’opposition armée Libyenne veut consacrer après sa victoire, à l’édification d’un Etat républicain libyen viable doté d’une armée moderne et d’institutions claires et stables. Le frère Mouamar reste après tout un révolutionnaire romantique qui voue «un amour destructeur,» pour la terre qui enfanta des héros comme Omar Mokhtar. «C’est tout ce que nous avons. Un amour destructeur, c’est tout ce que je suis,» nous renvoient les déclarations du Roi des Rois dans ses rares sorties télévisées. En regardant à travers Aljazeera la belle Cyrénaïque brûler, il semblait lui dire dans un élan hystérique «Brûle, Chérie, Brûle.»

Le colonel et ses gosses décident ainsi de dératiser le pays menacé par des mulots rebelles empestés. Il ne se gêne pas de mettre les bons moyens, à fond la caisse. La guerre contre le régime du colonel a commencé d’abord par une bataille médiatique que le maître d’Alaziziya avait perdu dès ses premières sorties télévisées. Il a juste fourni les bonnes images et déclarations que ses détracteurs, sinon, ennemis attendaient de lui. Il a parfaitement endossé l’uniforme de Mussolini ou d’Hitler en voulant pourchasser ses sujets quartier par quartier, maison par maison, individu par individu, en termes clairs, les exterminer. Isolé dans son bunker de tripoli, il comprit tardivement l’enjeu. Il se pressa de louer les services de boites de communication britanniques et américaines qui devaient lui avoir conseillé simplement de se taire, ses sorties médiatiques ayant causé des dégâts irréversibles. Le prolongement de la guerre en Libye semble être le fait de tactiques des occidentaux engagés dans le conflit pour, d’une part affaiblir les deux parties et d’autre part élever l’ardoise de l’effort de guerre et bénéficier de marchés importants dans la reconstruction du pays et s’assurer des approvisionnements énergétiques après la victoire de l’opposition rebelle.

Le président Yéménite éclairé, Ali Abdallah Salah, continue d’en faire autant pour son pays. Il ne sait plus sur quel pied danser. Dans ses tourments, il émule Kaddafi et défie son peuple qu’il qualifie de bandits de grands chemins, d’intégristes et d’obscurantistes défiant la modernité. A l’entendre discourir, l’on se croirait dans un autre âge. Les despotes tunisiens et égyptiens déchus, après avoir agité le torchon de la menace intégriste interne et de la Qaeda, finirent par rendre le tablier avant que le feu n’atteigne leurs demeures et ne les consume entièrement. Les despotes arabes ont été surpris de voir leurs peuples se relever comme un seul homme, bravant la peur, vomir leur colère sur eux et exiger leurs départs. Le «Je vous ai compris» gaullien de Ben Ali et «mon peuple m’aime» de Moubarak n’avaient pas suffit à les prémunir du Tsunami de la contestation sociale pacifique. Tandis que le premier se plaignait d’avoir été mal informé par ses services, le second réalisait tardivement que les informations que ses services lui livraient étaient superficielles, tronquées ou incorrectes.

Les chancelleries occidentales avaient été, pour la plupart, prise de court par la rapide succession des évènements. Après moult hésitations, elles ont pu s’adapter aux bouleversements et même dans certains cas les piloter.

Certains observateurs ne sont pas allés du dos de la cuiller et ont tout simplement évoqué, dans leurs analyses, la possibilité de coups d’états blancs dans en Tunisie et en Egypte. Selon leur théorie assez simpliste, les armées de ces deux pays auraient joué un rôle décisif dans le pourrissement de la crise interne et conspiré donc contre leurs dirigeants respectifs en les poussant à la porte de sortie pour ensuite récupérer «légitimement» et sans tirer une seule balle contre les manifestants, le pouvoir devenu vacant. Ensuite c’est l’armée elle-même (cas de l’Egypte) ou une équipe d’anciens politiciens ressortis du placard (cas de la Tunisie) qui prend le relais de la gestion de la transition (qui peut durer plusieurs années), le temps de reconstruire le régime délabré avec de nouveaux/anciens acteurs sur de nouvelles bases pour s’insérer dans un ordre mondial aux contours encore flous. Si la situation actuelle en Egypte indique une certaine stabilité dans les rues et places du Caire, ce n’est encore le cas en Tunisie qui semble être écartelée entre plusieurs choix : retourner à une forme d’autoritarisme soft et remettre la machine économique en marche ou créer un gouvernement d’union nationale qui permettrait l’entrée au pouvoir des islamistes d’El-Ghanouchi de retour de son exil anglais et favoriserait aussi le retour d’ex partisans du RCD dissous. Les évènements du conflit libyen qui risquent de déborder sur ses frontières, l’agitation continue de la rue dopée par sa révolution et en quête de lendemains meilleurs, une économie en panne avec un taux de chômage impressionnant, l’afflux de réfugiés libyens et étrangers dans son territoire sont des indicateurs d’une crise tunisienne qui pourrait non seulement durer longtemps mais aussi prendre des tournures désastreuses pour ce pays voisin.

L’instabilité de la Tunisie pourrait être un sérieux casse-tête supplémentaire après celui de la Libye non seulement pour l’Algérie et les pays du Sahel mais aussi pour bon nombre de pays méditerranéens d’Europe, notamment l’Italie et la France.

L’un des problèmes fondamentaux de la plupart des régimes arabes non démocratiques est leur mauvaise ou absence de communication avec leurs populations. Généralement, les gouvernants se suffisent de «dialoguer» avec des «représentants» de la société civile généralement coopté par leurs services, ce qui rend le dialogue insensé. Certains d’entre eux ont la fâcheuse tendance à gérer des territoires symbolisés par des drapeaux et des hymnes nationaux mais non pas à gouverner sur des peuples. Ils considèrent le peuple comme étant une entité vague et instable sur laquelle il n’est pas possible de fixer une image. Les seules images stéréotypés renvoyées par leurs médias montrent un algérien nerveux à la limite de l’hystérie, un tunisien commerçant par excellence et soumis, un marocain plutôt derviche-tourneur attaché à la monarchie, et un libyen révolutionnaire en quête de bataille. Il est sûr que ces images grossières à la limite de la caricature ne reflète en rien la réalité de ces peuples pacifiques qui n’aspirent qu’à mener dans leur propre pays une vie décente et dignité.

Chez les dictateurs, le peuple ne pèse pas beaucoup dans leurs calculs politiques puisqu’ils incarnent eux-mêmes la volonté populaire et en sont la pure émanation. Le colonel Kaddafi clamait tout haut à qui voulait entendre, que c’était lui qui avait «crée» la Libye. Il aurait dû dire «fonder» ou «construire» son pays car la création l’élèverait au rang des dieux. Ainsi, le territoire et le peuple se confondent en la personne du dictateur qui devient le dirigeant illuminé, le guide à la fois temporel et spirituel, en fait, l’oracle voire même la matrice englobant toute chose. Il pense et agit pour le peuple, c’est-à-dire lui même. Le peuple n’existe que pour sacraliser le guide, bénir ses actes, travailler dur pour sa prospérité et veiller à son bonheur et à celui de sa famille. On ne parle pas au guide, monsieur, on l’écoute. Lui, il n’écoute que l’écho de sa propre voix répercuté par ses proches. N’est-il pas l’Etat en soi ? Lorsque le tumulte du peuple atteint ses fenêtres, il ne descend pas dans la rue pour comprendre ce qui se passe. Il délègue plutôt un de ses commis pour lui en présenter un bref compte-rendu. Quand le peuple envahit la rue et menace son pouvoir, alors le dictateur brandit la peur du «Moi ou le chaos» (Yémen, Libye, Côte d’Ivoire…), ou du «Moi ou l’Enfer» (Bahrain, Maroc, Jordanie…) sachant que dans la plupart des monarchies arabes, les «Oul Al Amr» tiennent leur légitimité de Dieu. Ils sont soit les serviteurs de Dieu ou les descendants de son prophète. La religion a été toujours instrumentalisée pour rendre le peuple plus docile et moins critique à l’égard du «Ould Amr,» ou «Commandeur des Croyants» élevé au rand de vice-gérant de Dieu sur terre. Se rebeller contre sa volonté, c’est se rebeller contre celle de Dieu.

L’Algérie qui arrive à maintenir ses voiles hors de l’eau, du moins pour le moment, sous l’effet dopant d’aides financières aux jeunes et des réalisations à même de répondre aux besoins les plus pressant des masses, risque de se voir emportée par la déferlante si des réformes sérieuses et profondes ne sont pas engagées rapidement au niveau de l’administration au lieu de mesures de replâtrage dont à charge l’administration elle-même alors que le peuple, the common man of the street (le citoyen lambda), se plaint constamment de la bureaucratie et évidemment de l’administration qui n’a pas connu une grande évolution. A l’ère de l’informatique et la dissémination de la connaissance et de la technologie, l’on continue de travailler à l’ancienne. Nos bureaucrates préfèrent souvent se rabattre sur la communication orale et éviter autant que peut se faire l’écrit car comme dit le proverbe «les paroles s’envolent et les écrits restent.» certains responsables ont tendance à regarder vers le haut de la pyramide sociale mais très peu vers le bas. Combien de fois, a-t-on entendu un préposé en colère crier à la face d’un citoyen rouspéteur «Je ne travaille pas ici chez toi pour me casser la tête» ou encore «Ce n’est pas toi qui me paye.» En vérité, il n’est disponible que pour son employeur, celui qui offre du travail et une paie à chaque fin de mois, en l’occurrence l’Etat. Le citoyen, dans ce cas, ne donne que du travail à faire et donc des tracas.

Il m’arrive quelques fois de provoquer des conversations avec des gens du peuple dans un bus, un café sur internet pour jauger leurs impressions sur l’évolution de la société, leurs modes de vie et leurs interactions avec l’administration ainsi que sur les affaires internationales. Certains blâment le gouvernement pour son laxisme et son éloignement du peuple alors qu’il devrait rester à son écoute, d’autres par contre font de l’auto-flagellation et blâment le peuple de ne rien faire pour améliorer lui-même son sort alors que le gouvernement consent de grands efforts pour améliorer le cadre de vie de l’Algérien. Les opinions sont en général mitigées rarement tranchantes. L’application sur le terrain des mesures gouvernementales diffère d’une région à une autre et d’une administration à une autre. Une opinion va jusqu’à classer les régions par degré bureaucratique. «Les Algérois en général travaillent à l’Européenne, les gens de l’Ouest parlent beaucoup, travaillent peu mais restent assez courtois. Les gens de l’Est sont très difficiles. Ils sont bosseurs certes, mais cachotiers et nerveux voire même rebelles. Les gens du Sud sont indolents, sentimentaux et aiment s’identifier au pouvoir, à la Houkouma. Ils sont bureaucratiques par excellence.» me confie-t-on.

Ce visage hideux de la bureaucratie algérienne me fait sourire car cela me rappelle mes déboires (qui continuent d’ailleurs) avec les services pédagogiques de la faculté des langues et lettres de l’Université Mentouri à Constantine, un haut lieu du savoir, qui pour des raisons bureaucratiques me refusent le droit d’information sur mon dossier de soutenance de thèse de doctorat es Sciences en Etudes Américaines, un dossier qui traîne dans les tiroirs de la faculté depuis déjà deux années. Il s’agit tout simplement d’un blocage, pire un lynchage administratif qui ne dit pas son nom. Malgré les inscriptions d’usage sur huit années consécutives (2001-2009), la remise d’une copie de la thèse achevée et le rapport final de ma directrice de recherche Algéroise, mon dossier n’a jamais été présenté devant le conseil scientifique de la faculté pour être discuté en vue de la tenue d’un jury. Malgré mes efforts de soutirer de manière très courtoise une quelconque bribe d’information, c’est le black-out total. Je saisis donc par écrit et avec accusé de réception tous les paliers de la hiérarchie (chef du département d’Anglais, doyen de la faculté, président du conseil scientifique, vice-recteur chargé de la post-graduation, recteur et enfin le sous-directeur chargé de la Post-graduation au ministère de l’ Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique). Silence radio. Aucun retour de courrier. Le vice-recteur chargé de la Post-graduation avait même refusé de me recevoir lors d’une journée de réception. J’ai dû l’attendre devant la porte pour l’accoster à sa sortie. D’un ton bref et sec, il me fait retourner à la case départ : «retourne voir le doyen. Il est à même de régler ton problème.» Pas un mot de plus.

Dans les couloirs de la faculté, l’on m’a parlé en aparté de «blocage recommandé», mais par qui et pourquoi ? Eux le savent, pas moi. Faute de communication, je saisis le Chef du gouvernement par courrier accompagné de documents étayant mes griefs sur cette affaire louche qui s’assimile à une flagrante atteinte aux droits de l’homme. Enfin ! le chef de cabinet du premier ministère me répond pour m’informer que ma requête a été transmise au Ministère de tutelle. Des questionnaires seraient tombés sur les personnes en charge des services mis en cause dans mon courrier puis le trou noir depuis près de deux mois et demi déjà. Le calvaire continue. La citoyenneté est-elle suffisante pour nous donner des droits ? L’un des cités en cause aborde une connaissance, se plaint de mon attitude et lui fait comprendre que cela ne mer servait à rien de faire de l’agitation. Demander un droit par les voies règlementaires devient de l’agitation. Des nos jours, les valeurs sont inversées comme disaient les personnages de William Shakespeare dans MacBeth «fair is foul and foul is fair» (ce qui est sain est devenu malsain et ce qui est malsain est devenu sain). Je continue de faire du surplace et rien n’a changé. Dans ses propos, j’ai décrypté «l’Université, c’est nous.» Je ne m’arrêterai pas de demander mon droit fusse-t-il sur la planète Mars et s’il faut remuer ciel et terre.

Je parie que le Ministre de tutelle n’est pas mis au courant de ces palabres auxquelles se heurtent très souvent des doctorants et des chercheurs. Je demeure persuadé que s’il en avait pris connaissance il aurait sûrement agi dans un sens ou un autre mais qu’il n’aurait jamais laissé une affaire de plus sur le même problème s’étaler encore une fois dans la presse. Une collègue d’Alger aurait en effet fait état de difficultés similaires dans la presse. Mais passons, l’on n’est pas à un déboire près. Cela m’incite à appeler de tous mes vœux le chef du gouvernement à s’atteler à des réformes de fond et durables de l’administration algérienne qui, au fil du temps, s’est substituée de manière brutale à l’Etat. Les procès d’administrateurs défraient la chronique quotidienne, se suivent et ne se ressemblent pas. Les règles primaires de la déontologie dont bon nombre de secteurs sont de plus en plus bafouées.

Si le citoyen à un droit, qu’on le lui donne, s’il n’en a pas dans une affaire bien précise, qu’on le lui dise et qu’on lui explique clairement sans recourir à des manœuvres de bas étage. L’ignorer, c’est le mépriser et le mépriser, c’est l’inciter à la rébellion. La morale nous dicte que «des sentiments blessés sont parfois plus dangereux que des intérêts lésés.» L’incident récent causé par une rixe entre un étudiant en colère d’une part et le doyen et un secrétaire d’autre part au niveau de la faculté des langues et lettres de la même université illustre bien ce malaise qui gangrène la société. Sans trop d’exagérations, l’administration est devenue depuis au moins une décennie un danger pour l’ordre social. Elle nourrit la rébellion et la stimule. L’air du changement est dans l’air comme le dit bien le groupe allemand Scropions dans «Wind of change» (Le vent du changement).

A mon avis, notre gouvernement semble avoir saisi l’enjeu et les dangers qui guettent l’Algérie qui est, en toute probabilité, dans le collimateur des superpuissances œuvrant à la restructuration du nouvel ordre international selon les règles de l’impérialisme nouveau (et non pas néo-impérialisme) dans un monde postmoderne, sujet de notre prochain article. Le gouvernement devrait multiplier ses efforts pour aplanir bon nombre de difficultés nées justement du mauvais fonctionnement de l’administration à divers niveaux de la vie sociale qui risquent à terme d’enflammer les passions du peuple et provoquer des réactions irréversibles. Les péripéties des postes budgétaires et les lenteurs bureaucratiques de la fonction publique, qui ont d’ailleurs causé du tort à la fois moral et financier au pays, ont emmené le chef du gouvernement à juste titre à décréter une batterie de mesures judicieuses perçues à la base comme un réel soulagement. Si le Ministre des AE multiplie ses contacts à l’étranger pour informer et expliquer officiellement les efforts engagés par l’Algérie en matière d’ouvertures démocratiques et de réformes institutionnelles et économiques, il reste néanmoins que des efforts supplémentaires sont à faire au niveau intérieur pour que les réformes engagées ou à venir ne restent pas un vœu pieu (wishful thinking) mais une réalité palpable sur le terrain. Cela rafraichira un peu l’atmosphère printanière assez chaude du reste et fera de notre été social, une saison moins lourde à supporter. Mieux encore, il nous apportera une tranquillité de l’esprit pour que le vent de changement qui souffle à nos portes ne balaie pas dans son sillage, nos rêves et nos espérances.

*Doctorant en Etudes Américaines, Constantine.

Auteur de : – The Student’s Companion to the History of the American People, 1500-1783, tome 1, (Dar Houma : Alger, 2009).

- The Student’s Companion to the History of the American People, 1783-1890, tome 2, en préparation.

- Les Contes du Vendredi : Le marchand de Bonheur et l’Anneau Magique, à paraître prochainement.

- Série d’articles dans la presse francophone notamment Le Quotidien d’Oran.

1- Martin Luther King Jr., “Where Do We Go from Here : Chaos or Community?”, (1967), p. 62; Issu également du discours du même nom

2- Martin Luther King Jr., “Letter from a Birmingham Jail,” 1963.

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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