par Abdou B.
«Savoir dissimuler est le savoir des rois.» Richelieu
Le président américain s’invite régulièrement dans les conflits et situations propres aux pays arabes et il s’arroge des prérogatives qui consistent à «souhaiter», à «exiger le départ» de X ou Y, à «proposer» un calendrier, etc. C’est de bonne guerre et absolument conforme au statut de l’Amérique.
Cette grande première puissance entend défendre ses intérêts économiques et financiers, imposer ses valeurs et les termes de sa démocratie connus de tous malgré son jeune âge et grâce à l’incroyable métissage culturel, ethnique, religieux de populations venues de tous les continents. L’Amérique fait rêver la jeunesse du monde entier. Sa puissance, sa volonté hégémonique fait qu’elle est aussi détestée. Son cinéma, sa littérature, ses musiques, ses performances scientifiques et sportives font qu’on l’admire et qu’on la jalouse. Alors que faire lorsque M. Obama s’adresse, souvent menaçant, aux dirigeants arabes, et toujours respectueux des peuples sous des dictatures, des «familles», des prédateurs sortis d’un film d’horreur ? Les réponses sont forcément nombreuses et varient selon les locuteurs, l’ancrage idéologique, selon les gouvernants, les gouvernés, la richesse, la pauvreté, les postures des uns et des autres. Et surtout selon les intérêts, la fascination du pouvoir et souvent l’aveuglement.
Haro sur l’impérialisme, les islamophobes, les anti-arabes, l’Occident, le grand capital et la haute finance ! Ces cris du cœur, l’énoncé de principes de la moitié du siècle dernier, le positionnement au centre (pas trop anti-islamisme, pas trop laudateur des pouvoirs arabes, pas trop laïque, pas trop critique, patriote et pas trop nationaliste étriqué, moderne, un peu conservateur des traditions) n’empêchent aucun dirigeant américain ou européen de dormir puisqu’il y en a pour tous dans cet habillage politique d’Arlequin. Lorsque le point de vue américain est délivré sur tel ou tel pays arabe, il est aussitôt répercuté, toutes affaires cessantes, dans le pays en question. Là, il y a ceux qui trouvent qu’il encourage les décisions du pouvoir. Et il y a les autres qui trouvent que les USA ont mis l’accent sur les progrès à faire sur les droits de l’homme, la liberté du culte et des médias, sur le droit de manifester, etc. Ils ont tous raison parce que c’est l’Amérique qui le dit et que c’est aux autochtones de valoriser tel ou tel propos de M. Obama. Les «indigènes», chacun à sa manière, prennent acte que c’est «l’Amérique qui dit» en accentuant, eux-mêmes, les divisions et les obstacles à un front intérieur consensuel. Et c’est la victoire des USA, de leurs alliés et des dirigeants arabes qui «écoutent», essaient de balayer devant leur porte, pacifiquement, dans les violences, ou qui partent.
Dans tous les cas, ferrailler contre l’impérialisme sans se doter, à l’intérieur, d’une démocratie vivante, d’une économie forte, d’un pluralisme réel, de médias libres et offensifs, c’est perpétuer la domination de l’empire que l’on dénonce à moindres frais, en ne bougeant surtout pas le petit doigt pour que les choses changent chez soi. De nombreux pays dans le monde n’ont aucune peur des USA, n’ont avec eux aucun litige, vivent heureux dans les libertés, le progrès, la tolérance et les diversités. Tous ces pays sont des démocraties, possèdent d’énormes atouts hors hydrocarbures et les dirigeants de leurs grands partis passent tous par le suffrage universel, à la mairie, dans la région et pour le parlement.
Pendant ce temps-là, qui ne sera gagné par personne car le temps passe sans revenir, les discussions politiques ont commencé sous la direction de M. Bensalah. A première vue, ceux qui seront satisfaits de la procédure sont déjà connus. Au sein de la majorité qui gouverne, le RND et le FLN ont affiché très tôt leur ferme conviction sur la méthode voulue par le chef de l’Etat. Ils étaient, sont et seront heureux du travail qui sera réalisé par l’équipe du président du Sénat. Dès les origines, ces deux formations soutiennent le programme de M. Bouteflika. Ils ne vont pas se dédire à ce moment crucial de la vie du pays.
Le troisième parti de la coalition se démarque nettement des deux premiers qui, à la limite, n’ont pas besoin d’être écoutés puisque depuis une décennie leurs thèses sont connues de tous: le système va bien et seules quelques légères modifications seraient nécessaires. Le MSP par contre veut apparaître plus ouvert, plus moderne, plus démocrate. Le régime parlementaire, des élections transparentes, la dissolution du gouvernement ont ses faveurs, et par ailleurs conforte le président de la République sur l’illégitimité de l’APN qui fait l’unanimité hormis le FLN et le RND qui y sont majoritaires. Le MSP a aussi un point de vue tranché sur les pouvoirs des élus locaux qui sont à ce jour de simples petits fonctionnaires du wali qui n’est pas élu et que les citoyens ne connaissent qu’à travers la petite lucarne alors qu’il possède des pouvoirs politiques, culturels, sécuritaires, sociaux, dans l’organisation du mouvement associatif énormes.
Et pendant ce temps-là, la Kabylie s’invente un fonctionnement citoyen inédit dans le pays. Tizi Ouzou a été décrétée ville morte dans le silence absolu de ceux qui «dialoguent», qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition. Celle-ci, dans la mesure où elle aspire à gouverner sinon avoir un président élu démocratiquement, serait inspirée de dire aux Algériens son analyse sur tout ce qui se passe à nos frontières et dans le monde arabe. Les 11 milliards de dollars annoncés pour l’autoroute Est-Ouest n’intéressent nullement les formations politiques, toutes confondues, braquées sur le seul exercice du pouvoir, la rente et les «constantes» qui laissent de marbre les grandes puissances à quelques mètres de nos frontières.
A l’évidence, l’équipe de Bensalah joue sur du velours. L’opposition est atomisée, divisée face aux discussions menées et n’a aucune plate-forme a minima. De son côté, la majorité où le MSP essaye vainement de jouer solo semble soudée et la joue sur des différences de détails. Dans une «confrontation» trop facile, que va-t-il sortir des entretiens si on ajoute quelques individualités qui ne représentent qu’elles-mêmes ? L’ensemble de la classe politique est assurément très loin des enjeux régionaux, des retards définitifs en matière de politique culturelle, des évolutions fulgurantes et journalières des médias reçus, d’armées étrangères en Afrique et au Maghreb, des milliers de cadres, d’entrepreneurs et de chercheurs qui font la prospérité de pays lointains, etc. On continue de radoter, de gaspiller des sommes folles pour des colloques, des festivals (ici et ailleurs), des foires, des voyages relatifs au tourisme dans un pays fortement allergique au monde. Quel touriste, à commencer par l’Algérien qui en a les moyens, délaisserait la Tunisie, l’Europe, le Maroc, la Turquie ou l’Espagne pour la laideur et la saleté de l’urbanisme algérien ? Plus tard, peut-être dans plusieurs décennies, des dirigeants prendront conscience que la culture et le tourisme ne sont pas seulement une histoire d’infrastructures, certes nécessaires, mais que c’est dans la tête que les choses se jouent. A la fin du dialogue en cours, peut-être qu’à côté des réformes politiques et institutionnelles, on aura ébauché une doctrine de tolérance, d’ouverture et de libertés culturelles. Amen !
26 mai 2011
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