Un message de félicitations de Bouteflika au président chancelant du Yémen fait le buzz sur le net et auprès de l’opinion. De quoi s’agit-il ? D’un télégramme qui exprime, selon le nôtre, «sa détermination à continuer à œuvrer»
avec le dictateur Ali Abdallah Saleh à l’occasion des 21 ans de réunification du Yémen. Le message annonce même un avenir meilleur : «Je tiens à vous exprimer ma détermination à continuer à œuvrer avec vous pour le développement des relations de fraternité et de coopération qui lient nos deux pays dans l’intérêt des deux peuples frères ». Il y a vingt ans, il y a dix, il y a quatre mois, on aurait pu zapper sur le télégramme et le classer dans la rubrique ennuyeuse des politesses internationales, mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, au Yémen, il y a déjà 180 Yéménites tués parce qu’ils ont osé crier face à leur dictateur le fameux «Dégage !». Du coup, les phrases du message de Bouteflika deviennent tordues, alourdies par un second sens néfaste et malvenu et se retrouvent à dire plus que le simple geste du «comment ça va ? Bon anniversaire ». Des personnes ont été tuées depuis fin janvier dans la répression des manifestations appelant au départ de M. Saleh et cela enlève au télégramme sa banalité et permet de le lire comme de l’humour ou de la solidarité. Jugez-en : que veut dire la phrase « mes sincères félicitations ainsi que mes meilleurs vœux de santé et de bonheur pour vous-même, de progrès et de prospérité continus pour le peuple yéménite frère» ? Que veut dire «œuvrer avec vous» adressé à un dictateur qui tue son peuple et manœuvre chaque nuit pour rester au pouvoir ou pour en partir sans être jugé, sans remboursement des dollars volés et sans fouille corporelle de ses fils et de sa famille ?
Du coup, la lecture de beaucoup d’Algérie ne s’est pas fait attendre : Bouteflika soutient son frère de lait douteux, il lui apporte son soutien et lui exprime une fraternité entre deux «éternels» du monde arabe. La lecture est légitime et tout à fait logique. Sauf que pour le chroniqueur, cela ne suffit pas. Pour le chroniqueur qui a lu et relu ce télégramme, le drame est plus profond et le télégramme est plus tragique. Le chroniqueur parie qu’il ne s’agit même pas d’un télégramme qui a été lu avant, mais d’un simple réflexe du bouton «envoyez» géré par un secrétaire anonyme chargé de surveiller le calendrier et ses dates pour adresser des télégrammes de félicitations selon une routine aggravée par l’ennui. Explication : il ne serait pas étonnant de lire, un jour, un télégramme de félicitations envoyé à Moubarak pour la fête nationale de l’Egypte. Du coup, une affreuse hypothèse : l’Etat algérien est vraiment creux de l’intérieur, réduit à des réflexes d’APC sans maire, obéissant au tic-tac d’anciens modèles, avec un personnel traînant la chaussure pour «accomplir» les heures de travail, pendant que le Roi très vieux regarde les étoiles qui lui murmurent : «Viens prendre un thé avec nous !».
Une maison sans maître, pour être clair. Le drame de ce message, comme le soupçonne le chroniqueur, n’est pas celui du «soutien» mais celui du formulaire. Il date des années 70 peut-être. Cela se vérifie par exemple avec les listes des invités à la fête cahoteuse du 1er Novembre avec Bouteflika : la même liste chaque année, par réflexe et habitude, presque sans souci pour les nouveaux leaders ou les anciens morts, juste pour la routine et le faste de la cérémonie contraignante. Bouteflika soutient Salah, oui, sauf que le message est antidaté. Comme le Pouvoir actuel, l’Etat qui nous reste : les années 70. D’ailleurs, l’avez-vous remarqué : la commission «Bensalah» est presque la même que celle qui a géré l’intronisation de Zéroual durant les années 90 avec la commission de dialogue national en 1994, présidée justement par Bensalah.
22 mai 2011
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