Dans «Un tout petit monde», l’un de ses best-sellers, l’écrivain britannique David Lodge consacre quelques lignes au comportement déluré et égoïste de certains clients de grands hôtels, relevant qu’il ne leur viendrait jamais à l’idée d’en faire autant chez eux. Il insistait notamment sur l’état lamentable dans lequel ils abandonnaient leur chambre, exigeant de la retrouver impeccable à leur retour. Désordre, lits défaits, salle de bains inondée, serviettes jetées au sol : il est vrai que la tentation de ne pas faire d’efforts est grande puisque quelqu’un d’autre s’occupe du ménage
C’est à cela que j’ai pensé en écoutant, dans un état de sidération totale, les premières informations concernant le sort Dominique Strauss-Kahn. A l’heure actuelle, personne ne sait si l’homme politique français est coupable ou non. Comme toute personne mise en cause, il a droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que la justice de l’Etat de New York ne statue sur son cas. Mais, dans cette affaire, il y a aussi une victime présumée qui a aussi le droit d’être entendue et respectée.
Etre femme de chambre dans un hôtel n’est pas chose facile. C’est encore plus pénible quand elle travaille dans un établissement cossu. Plusieurs reportages dans la presse française et internationale ont montré la dure condition de ces employées corvéables à merci. Il leur faut assurer le ménage de plusieurs chambres, une voire deux fois par jour. Il leur faut frôler les murs et savoir fermer les yeux. Elles doivent aussi accepter les humiliations et les vexations infligées par une clientèle qui estime qu’elle a droit à tout – y compris d’attenter à la dignité du (petit) personnel – parce qu’elle paye le prix fort. A cela s’ajoutent les contraintes habituelles que l’on retrouve dans n’importe quelle entreprise. Dans un monde où la réduction de la masse salariale est l’un des objectifs prioritaires, ces femmes se retrouvent en sous-effectif, obligées de travailler toujours plus pour ne rien gagner de plus.
Dans certaines régions du monde, être femme de chambre, c’est aussi courir des risques importants. Pour faire cesser les violences sexuelles dont elles faisaient l’objet de la part de leurs clients des nationaux mais aussi des expatriés et des touristes en goguette – les grands établissements du Golfe ont très vite compris qu’il valait mieux les remplacer par des hommes originaires comme elles du sous-continent indien ou d’Asie du sud-est. Dans la terminologie hôtelière internationale, on ne dit d’ailleurs pas client : on parle de « guest », c’est-à-dire d’invité. Il est évident que certains de ces invités ont tendance à croire que les lois de l’hospitalité leur permettent tout.
Parler de rapports de classe n’est plus à la mode. C’est même suspect en ces temps où libéralisme garde toujours bon pied bon œil malgré la crise financière et les dégâts profonds infligés à nombre de pays et de sociétés. Pourtant, dans l’affaire DSK, ce qui frappe d’abord c’est ce décalage saisissant entre un homme riche, puissant, appartenant à la classe mondialisée et une pauvre femme, travailleuse immigrée venant du continent le plus misérable de la planète et dont la vie va certainement être bouleversée à jamais. Même dans le cas d’une relation sexuelle consentie – ce qui apparaît comme l’une des stratégies de défense possible du leader socialiste – on ne peut que s’interroger devant le déséquilibre de statut. Patron du Fonds monétaire international (FMI) pour l’un, femme de chambre pour l’autre. On me dira que c’est la vie, que c’est ainsi mais nous savons tous que la vie est faite des rapports de sujétions et que, trop souvent, c’est le plus fort qui impose sa loi.
Parlons maintenant des réactions à l’affaire. Il est évident que l’une des idées qui vient immédiatement à l’esprit concerne l’existence d’un complot. Une bonne majorité de Français en sont d’ailleurs persuadés. Mais dire, « c’est un complot » plutôt que « cela pourrait être un complot », c’est prendre clairement position. Dans un contexte où l’on ne peut qu’attendre la suite du processus judiciaire, hurler au complot c’est dénier ses droits à la victime présumée.
A ce sujet, les déclarations outrées de nombre de dirigeants socialistes et de pseudo-intellectuels, ne sont rien d’autre que l’expression d’une solidarité de caste qui me paraît inacceptable et obscène. J’avais déjà éprouvé un malaise comparable avec l’affaire Polanski voire avec celle de Frédérique Mitterrand où, à chaque fois, on sentait poindre la revendication d’une nécessaire indulgence vis-à-vis de personnalités dites hors du commun. Entre la solidarité à l’égard de leur ami et une complicité de mauvaise foi, il y a une ligne rouge que nombre de figures du PS et du Tout-Paris ont largement franchie. En sombrant parfois dans le ridicule comme cette élue socialiste d’Ile-de-France qui a expliqué que l’arrestation de DSK était « très mal vécue en Tunisie car les Tunisiens ont besoin de lui pour réussir leur révolution » ?
Certes, le futur ex-directeur général du FMI a été humilié par la police new-yorkaise qui l’a délibérément exposé aux caméras du monde entier. Mais cela n’a rien d’étonnant. La justice américaine s’est toujours montrée redoutable à l’égard des personnalités connues accusées de graves délits. Que l’on se souvienne de ce qui est arrivé à Mickaël Jackson ou même à Bill Clinton ou encore à Rod Blagojevich, gouverneur de l’Illinois mis en cause pour trafic d’influence. A chaque fois « the system » (justice et police) a voulu démontrer son indépendance même si, ne soyons pas naïf, des considérations électorales ont toujours guidé son action. A ce sujet, il faut lire ou relire « Le Bûcher des vanités », célèbre roman de Tom Wolfe, où l’on assiste à la chute d’un puissant de Wall Street et à la manière dont le système judiciaire le déchiquète.
Je terminerai par mentionner le silence assourdissant de certaines organisations féministes françaises qui nous avaient habitués à faire plus de bruit en d’autres occasions. Là aussi, il n’est pas question d’exiger d’elles d’enfreindre la présomption d’innocence mais d’exprimer au moins leur compassion avec la victime présumée. Une femme qui affirme avoir été violée, ce n’est pas rien ! Mais il est vrai que la désormais célèbre Ophélia ne porte ni burqa ni n’est la compagne d’un polygame et qu’elle ne risque pas d’être lapidée pas plus qu’elle n’a été la victime présumée d’une tournante organisée par une bande de mâles machos et basanés venus d’une cité de banlieue
22 mai 2011
Contributions