Il y va de notre système de santé comme il y va de la cuisine hospitalière. Que’elle que soit les sommes budgétaires investies et quelque soit les viandes et légumes achetés, nos hommes de charge et nos femmes de ménage, promus cuisiniers, confectionneront toujours des repas innommables et infectes qui alimenteront les poubelles aux lieu et place des malades.
50 ans après l’indépendance et malgré l’aisance financière qui se chiffre en milliards de dollars et nonobstant les milliers de médecins spécialistes et généralistes formés, notre pays se distingue par le plus mauvais système de santé au Maghreb et traine loin derrière nos deux voisin immédiat comme le confirme le rapport élaboré par les experts de l’organisation mondiale de la santé (OMS) et publié par le magasine jeune Afrique en octobre 2010.
De la même manière, le rapport annuel de la Commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l’homme, en décembre 2010, souligne l’état pitoyable des hôpitaux et des établissements de santé et objective la fracture entre les hôpitaux du Nord -mieux équipés et pourvus d’effectifs suffisants- et ceux du Sud et des Hauts Plateaux, qui souffrent de carences en matière d’équipements et de personnel spécialisé.
Bien plus, la conférence nationale «politique de santé et réforme hospitalière » tenue à Alger du 3 au 5 février 2011 reconnait les disparités entre le Nord et le Sud et énonce clairement «que les indicateurs de la santé ont montré de façon constante que les habitants des collectivités démunies et éloignées, en particulier ceux des collectivités du sud, n’ont pas une aussi bonne santé que le reste de la population algérienne. Il semble, également, que la santé d’une collectivité soit inversement liée à son éloignement. Ainsi, en Algérie, il y a une tendance vers une détérioration progressive de la santé à mesure que l’on se déplace des régions proches des centres urbains et des CHU et EHS vers les régions très éloignées »
Malheureusement, même les centres hospitalo-universitaires censés développer de soins hyperspécialisés et la recherche pataugent dans la médiocrité et sont un contre modèle aussi bien pour l’humanisation que pour l’hygiène hospitalière et la qualité de soins, et hormis quelques individualité arrimés à des universités étrangères, l’institution hospitalo-universitaire, à force de verrouillage et de blocage, connait une grave régression puisque, à la différence de beaucoup de pays africains, il n’y a ni recherche ni revue médicale cotée et indexée sur le plan international.
Malgré ce constat désastreux qu’observent quotidiennement les institutionnels et les particuliers, tout semble conforter une politique de laisser-faire qui s’assimile à un largage des personnels de la santé et un encouragement de la fuite des médecins spécialistes vers l’étranger puisque malgré les dix mille (10.000) d’entre eux qui exercent, actuellement, en France, il semble que rien n’est entrepris pour motiver les médecins autochtones à rester au pays et faire carrière et à fortiori faire revenir les expatriés !
Depuis les velléités du tournant libéral et la fin non proclamée de la médecine gratuite qui y est son corollaire, toute une série de mesures aussi incohérentes les unes que les autres sont décidées et prouvent dans leur application de manière probante une volonté de décourager les médecins spécialistes à faire carrière dans la santé publique ne serait ce qu’au regard de la politique persistante suivie depuis au moins deux décennies, à travers une dévalorisation des praticiens médicaux et des rémunérations indignes de leur compétence et de leurs responsabilité.
«En Algérie, un médecin généraliste commence sa carrière à 250 euros par mois et un spécialiste de niveau bac+12 à 450 euros alors qu’au Maroc, ils commencent à 727 euros et 910 euros, et en Tunisie à 791 euros et 935 euros» (rapport OMS octobre 2010).
Ya ajjaba, comment expliquer que le bachelier qui dispose de la meilleure moyenne, qui suit durant 07 années de pénibles et laborieuses études de médecine et qui passe 02 années de service militaire se voit rémunérer avec un salaire inférieur à celui d’un garde communal ? Et que dire du médecin spécialiste avec un cursus de bac + 12 rémunéré à 45000 dinars !
Et comme si cette politique de démotivation était insuffisante il ya eu l’institution de l’activité complémentaire et l’activité lucrative qui autorise les praticiens médicaux spécialistes des CHU ou des autres établissements public à exercer dans le secteur privé durant les jours ouvrables et les weekends ! Et voilà comment nos gouvernants, bien que le pays soit riche et pouvant rémunérer honorablement ses médecins, incitent les praticiens spécialistes, quand ils restent au pays, à s’installer dans les villes du Nord où se trouve implantées les cliniques privés et où les populations disposent d’un meilleur pouvoir d’achat et les poussant ainsi, subséquemment, à déserter les villes du sud et des Hauts Plateaux!
Ensuite, il y a lieu d’ajouter dans la longue liste, la nouvelle politique salariale et les incohérences de la Fonction publique qui fait que deux praticiens spécialistes de même diplôme, de même grade et disposant de la même ancienneté, l’un assurant la prise en charge de toute une wilaya de l’intérieur du pays dans la solitude et l’indigence, se voit rémunéré moitié moins que son confrère qui exerce confortablement dans un service d’un centre hospitalo-universitaire, au sein d’une équipe médicale, entouré de professeurs, de maîtres-assistant, de résidents et d’internes et réalisant forcément beaucoup moins d’actes médicaux que le premier praticien et pouvant, de surcroît, jouir du bénéfice de l’activité complémentaire et lucrative en exerçant dans les structures de soins privées et améliorer, conséquemment, ses revenus !
Et bien sûr, une fois le désert sanitaire crée et pérennisé dans les wilayas de l’intérieur du pays, populisme oblige, nos décideurs, habitués à contraindre et non à convaincre, recourent à la mise en application du service civil, exclusivement, pour les seuls nouveaux médecins spécialistes, arguant qu’il s’agit d’une disposition constitutionnelle! Combien même la constitution algérienne prévoirait le service civil, le fait d’appliquer cette disposition pour une seule et unique catégorie d’Algériens, en l’occurrence le corps des praticiens spécialistes, en ferait une mesure discriminatoire, parce que, constitutionnellement, les citoyens algériens sont présumés être égaux en droits et en devoirs. De surcroît, il faudrait vérifier si notre constitution a institutionnalisée l’esclavage, car affecter un seul et unique praticien gynécologue ou un seul et unique chirurgien pour toute une wilaya comme Tamanrasset avec un salaire qui permet tout juste de satisfaire les besoins alimentaires et que ledit praticiens spécialiste se voit sommer par l’autorité de la réquisition à répondre 24/24 heures aux urgences en plus des heures de travail sinon se voir poursuivi judiciairement pour non assistance à personne en danger et condamné comme l’ont été un certain nombre de consœurs et confrères, ne peut qu’être assimiler à de l’asservissement !
Cette gouvernance du recours systématique à une politique simpliste et autoritaire pour gérer des problèmes aussi complexes que ceux relevant de la santé publique instille dans l’esprit des Algériens le sentiment que n’importe qui peut être ministre ou Premier ministre !
Des malades atteints de maladies cancéreuses guérissables meurent faute de médecins spécialistes conjugué à l’indisponibilité de produits médicamenteux à cause des pénuries chroniques et de la mauvaise gestion.
Des femmes jeunes meurent par complications de grossesse et d’accouchement en raison de la chronique pénurie de médecin gynécrologues. Des personnes jeunes traumatisés du crâne et victime d’accident de la circulation ou de la voie publique meurent par pénurie chronique de médecin spécialiste en neurochirurgie. Des personnes jeunes victime d’infarctus aigue ou de trouble de rythme meurent par pénurie chronique de médecins spécialistes en cardiologie. Des personnes jeunes victime d’intoxications aigues ou d’envenimations meurent par pénurie chronique de médecin spécialiste en réanimation. Et la liste peut se prolonger avec la pénurie de médecins spécialistes en radiodiagnostic, en orthopédie, et ORL, en ophtalmologie, etc.
Dès lors et inévitablement, se pose la question de la responsabilité des décideurs publics qui ont créé ou contribué à créer la situation de la mise en danger d’autrui ou de leur mise à mort ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter. Comment se fait-il qu’à la différence du médecin, sur qui pèse l’épée de Damoclès de la poursuite pénale pour simple négligence, imprudence ou maladresse, les décideurs publics et les responsables administratifs, qui sont des soignants indirects, bénéficient d’une irresponsabilité pénale même s’il est établi qu’ils ont commis une faute caractérisée en exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’ils ne pouvaient ignorer comme les pénuries chronique de produits pharmaceutiques indispensable pour les cures de chimiothérapie ou les pannes chroniques des appareils de radiothérapie dans les maladies cancéreuses pour ne citer que cet exemple ?
Pourtant l’article 288 du code pénal algérien stipule que «quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements commets involontairement un homicide ou en est involontairement la cause est punis d’un emprisonnement de 06 mois à 03 ans et d’une amende de 1000 à 20.000 DA ». Cette impunité dont jouissent les décideurs publics algériens, est-elle le résultat d’une insuffisance de la loi ou de ceux qui ont la charge d’appliquer la loi ?
Pourtant, c’est une évidence que la médecine moderne est un tryptique associant la compétence des professionnels, les moyens technologiques et une organisation efficiente. Si l’un des trois éléments vient à manquer le résultat est aléatoire ou nul et c’est la maladie, l’handicap ou la mort pour des dizaines de citoyens! Or l’obligation des moyens est à la charge des décideurs publics: directeur d’établissement, directeur de la santé, directeurs des institutions relevant du ministère de la santé, directeur centraux du ministère de la santé, ministre, etc. Et les cris de détresse qui sont régulièrement lancés par les malades chronique menacés de mort imminentes le sont souvent pour une pénurie chronique de moyens humains, technologiques et pharmaceutiques et non pour une insuffisance professionnelles des praticiens médicaux!
Au regard de toutes les incohérences législatives, règlementaires et institutionnelles qui caractérisent notre système sanitaire, il semble que la santé publique est l’otage de lobbys qui privilégient leurs intérêts personnels sur le ceux de la nation. L’exemple patent s’illustre par les velléités, les hésitations et la politique d’un pas en avant et deux pas arrière dans la gestion du dossier, aussi sensible, que celui des praticiens spécialistes de santé publique.
Malheureusement, il semble que tant que les décideurs public échapperont à la responsabilité pénale du fait des conséquences sanitaires de leur gestion ou absence de gestion, quelque soit notre richesse nationale et quelque soit le nombre de médecins, nous continuerons notre régression, notre système de santé sa décomposition et les malades vivront le calvaire ila youm eddine.
22 mai 2011
Contributions