Un drôle de clochard |
Noir et blanc |
Mustapha Mohammedi |
Liberté : 30 – 11 – 2010 |
Du jamais vu : je n’en croyais pas mes yeux. J’ai cru un moment que mes lunettes s’étaient embuées. Mais non, mes mirettes n’avaient rien à se reprocher. J’avais pas la berlue et il fallait bien me rendre à l’évidence,
le clochard du pont de Gambetta carburait bien au lait. Je dis bien au lait. Il y a des boissons qui ne trompent pas. Au h’lib, mince alors… Une première. Une première en Algérie et même, comme dirait mon voisin, dans le monde entier. Si ma mémoire est bonne, et autant que je m’en souvienne, ailleurs, au pays du Beaujolais, les poivrots se shootaient au pinard et croyez-moi, question bouteille, ils y allaient sec au litron. Vin rouge qui tache ou vin chipé au Monoprix. Première anomalie de notre clodo, il se cuite sur un pont et non sous un pont. Deuxième anomalie, et non des moindres, il s’enivre au lait. Comme ce comportement n’est pas très catholique, il faudra bien poser la question. Qu’est-ce qui a changé dans cette ville pour que le pionnier des clochards bio se pinte au blanc Lahda ? Le changement de wali et l’élection d’un nouveau maire seraient-ils pour quelque chose par hasard ? À vrai dire, il n’en a rien à cirer. Et pour être tout à fait franc, il n’en a rien à glander. Alors, pourquoi exhiber avec tant de “bravitude” sa nouvelle gnôle de lait cru aux yeux des passants ? Pour dire, en fait, sa détresse d’être le dernier clochard sans amis, le dernier clochard sans bibine, le dernier clochard sans tord-boyaux, seul, nu, comme un bébé qui vient de naître. Bref, un cri salutaire pour dire toute son angoisse. C’est vrai que la plupart des poivrots sont soit à Diar Errahma, pour une diète de longue durée, soit enterrés six pieds sous terre pour un sommeil éternel. Les nouveaux venus au club, qui ont entre dix-huit et trente ans, effleurent à peine la bouteille de vinga, comme on dit à Oran. Ils préfèrent sniffer la colle, se biturer à la zatla ou faire pompette avec tout ce qui leur tombe entre les mains.
M. M.
19 mai 2011
Contributions, M. MOHAMMEDI