Les “siyyagha” de M’dina J’dida |
Bijoutiers d’Oran |
Mustapha Mohammedi |
Liberté : 18 – 12 – 2010 |
Le marché de l’or et des bijoux a pris une telle ampleur à M’dina J’dida qu’il faut distinguer entre trois types de commerçants pour voir plus clair.
Autant par dérision que pour se démarquer d’un quartier qu’ils n’avaient pas en haute estime. Les pieds-noirs l’ont toujours appelé “village nègre”, en référence aux nombreux indigènes qui y vivaient et tout particulièrement autour de la place centrale Tahtaha, où était élève le mausolée sacré de sidi Blal, pèlerins du Touat ou visiteurs de Touggourt. Ils venaient par centaines chaque année assister à la waâda du marabout au cours de laquelle était égorgé, tradition oblige, un bœuf en guise d’offrande expiatoire du saint homme.
Plus tard lorsque cette banlieue de bric et de broc s’enrichira de quelques milliers de commerçants supplémentaires et sera rattachée à la ville, les mêmes pieds-noirs, qui avaient décidément mis de l’eau dans leur sangria, la désigneront cette fois par le vocable sans âme de ville nouvelle que les habitants traduiront aussitôt par M’dina J’dida. Ce n’était pas sorcier. Voilà pour l’histoire lapidaire certes, mais juste assez pour avoir une idée de cette périphérie mythique, et elle l’est à plus d’un titre, car il n’y a pas un Algérien sur les 36 millions que compte le pays qui n’en ai pas entendu parler au moins une fois.
On y débarque de partout dans ce populeux faubourg soit pour faire ses courses à moindre coût, soit pour courir derrière la bonne affaire, soit enfin pour mettre la main sur l’occase tant recherchée. Ici, chaque corporation marque son territoire, que ce soit les marchands de chaussures, de vaisselles, d’étoffes ou même de fripes.
Dans cet espace à peine plus petit que Bab El-Oued, la part du lion revient évidemment aux bijoutiers. Normal. L’échange, la vente et la transformation de l’or sont une vieille tradition d’Oran qui la tient elle-même des anciens juifs du Derb.
Si vous êtes tentés par l’acquisition d’une chaîne, d’un bracelet ou d’une quelconque bague en or, un conseil, même deux, ne vous précipitez pas à la première devanture illuminée et surtout faites-vous accompagner par quelqu’un qui soit capable de faire la différence entre un objet en or et un autre en plaqué or. Un novice n’y verrait que du feu, et beaucoup y ont perdu des plumes.
Seconde recommandation, méfiez-vous des rabatteurs qui vous accostent pour vous proposer les boutiques les moins chères du marché. Là encore, vous risquez de vous faire arnaquer comme un bleu. La mésaventure est arrivée à plus d’un.
En fait, le marché de l’or et des bijoux a pris une telle ampleur à M’dina J’dida qu’il faut distinguer entre trois types de commerçants pour voir plus clair. Il y a d’abord les vendeurs occasionnels. Ils n’ont ni magasin, ni comptoir, ni registre du commerce. Ils officient à même la rue au bord d’un trottoir une paire de boucles ou de bracelets à la main bien en évidence. Ils n’ont rien à voir avec ce métier. Ce sont des gens comme vous et comme moi qui essaient tout simplement de vendre aux plus offrants leurs bijoux personnels suite à un accident de la vie. C’est toujours mieux que de les placer au clou au mont de piété qui offre en général des clopinettes pour n’importe quel gage. Il y a ensuite les artisans semi-professionnels, eux, ont presque pignon sur rue. Pourquoi ? Presque pour la simple raison qu’ils n’ont pas de boutique et encore moins les moyens d’investir dans un local. Ils se contentent d’une armoire horizontale en bois et en verre, d’une longueur de 90 centimètres et d’une largeur de 60 centimètres, dans laquelle est entassé tout leur trésor.
Eux aussi officient sur le trottoir un parasol pour les protéger des intempéries au-dessus de la tête. Ils sont tolérés et font partie de la corporation des siyyakha. Il y a enfin les bijoutiers classiques tels que nous les connaissons avec vitrine rayons arrière-boutique et tout l’arsenal qui les accompagne. Parmi eux, certains travaillent dans la filière de père en fils et maîtrisent parfaitement le sujet. Ils sont en mesure par exemple de détecter la moindre éraflure invisible à l’œil nu sur n’importe quelle breloque en or. Ils sont capables au seul contact d’une pièce de vous donner le nom et le prénom de celui qui l’a usiné et parfois même la région où elle a été traitée. Ils sont capables, aux seuls reflets du métal précieux, de vous dire sa provenance, son taux d’alliage et la qualité de sa pureté. Difficile de croire que des artisans, qui brassent quotidiennement des millions de centimes au milieu d’une clientèle ininterrompue, puissent un jour baisser rideau en signe de protestation. Mais protestation contre quoi ? Contre certaines mesures d’une administration tatillonne qui les épingle régulièrement pour un motif ou pour un autre, comme l’absence de factures, le défaut de poinçon et les contrôles répétés qui finissent par lasser et faire lâcher prise. Mais il ne faut pas se leurrer, les loups blancs existent dans toutes les corporations et celle-là ne fait pas exception, car les tentations ne manquent pas. Signalons, pour mémoire, histoire de clore ce chapitre, qu’un orfèvre a choisi délibérément de commercialiser un autre métal tout aussi noble mais bien moins précieux, l’argent. Pour l’instant, il ne fait de l’ombre à personne.
19 mai 2011
Contributions, M. MOHAMMEDI