LE DRAGON |
Noir et blanc |
Mustapha Mohammedi |
Liberté : 27 – 02 – 2011 |
Lorsqu’ils l’ont créé en 1885, les Français l’ont baptisé saint Georges, en hommage à ce moine mythique qui aurait, selon la tradition, terrassé un dragon. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais les colons aimaient donner à leurs villages les noms de saints. Regardez autour d’Oran,
saint Lucien actuellement Zahana, saint leu pour Béthioua, saint Cloud pour Gdyel, sainte Lucie pour Hassi Bounif et sainte Clotilde pour Hassi Ameur. À l’époque, saint Georges n’était pas un hameau, mais tout juste un lieu dit pour fermiers en quête de fraîcheur et de regroupement. Depuis, il a grandi. Forcément. Aujourd’hui, il porte le nom de Bouamama et le nombre de ses habitants dépasse certainement les 500. Si l’on excepte les femmes au foyer, les nourrissons et les écoliers, le village est composé de retraités, de hittistes et de saisonniers. Quelques-uns parmi eux travaillent dans les champs, d’autres chez le privé, dans les grands centres urbains, et le reste tue le temps en regardant passer les voitures. Bâti sur une terre plate et riche depuis laquelle on voit d’ailleurs les premiers buildings d’Oran, Bouamama a ceci de particulier : il n’a rien à offrir aux seniors et rien à proposer aux jeunes désœuvrés. Il faut tout faire soi-même. Pas de poste, pas de taxi, pas de café, pas d’école. Tout juste un vulcanisateur et un magasin d’alimentation générale. Pour se raser, il faut aller à saint Rémy. Pour se laver, il faut aller à Sidi Chahmi. Mais il ne faut pas croire que c’est la brousse intégrale. Le village dispose d’un éboueur et d’un tracteur, de deux abribus et de trois dos d’âne. Petite curiosité de l’histoire, tout près d’ici pourtant, un autre saint Georges : en 1943, le général en chef Eisenhower établira son état-major et dessinera ses plans de bataille pour terrasser un dragon nommé le IIIe Reich.
19 mai 2011
Contributions, M. MOHAMMEDI